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Aina Alegre à la Biennale de danse du Val-de-Marne.

La nouvelle directrice du CCN2 de Grenoble parle de sa toute nouvelle création et de ses projets sur le territoire.

Danser Canal Historique : Vous présentez dans le cadre de la Biennale de Danse du Val-de-Marne votre nouvelle création, THIS IS NOT (An Act of Love and Resistance) et vous déclarez : « Je souhaite ré-actualiser cette idée de communauté en devenir qui poursuit mon travail. » Y a-t-il donc une relation directe, une continuité depuis vos spectacles précédents autour des traditions festives et de la communauté ?

Aina Alegre : Je travaille pour cette nouvelle création avec les mêmes collaboratrices et collaborateurs que par exemple dans R-A-U-X-A [lire notre critique], il y a une couleur semblable qui s’en dégage. Il n’y a pas eu de rupture forte entre mes deux dernières créations. La question de la communauté n’y est pas traitée directement, comme je l’avais  fait dans Le Jour de la bête [lire notre interview ] mais on y trouve quand même une énergie collective et il y a aussi une idée de célébration, célébration de l’air et de la respiration collective, mais celle-ci dans THIS IS NOT… peut aussi prendre des tons ou textures différents, par exemple mélancoliques comme dans les funérailles, des veillées de morts ou autres situations de perte.

DCH : Comment construisez-vous les relations entre danse-musique et danseuses-musiciennes ?

Aina Alegre : Nous avons commencé le travail dans l’idée que la pratique corporelle soit partagée par tout le monde. Et nous avons toujours travaillé à partir des mêmes concepts et consignes physiques pour toutes. Simplement, après il y a la question du vocabulaire, avec chez les danseuses une écriture plus physique et de mouvement qui s’est dégagée. Et pas seulement, parce qu’il y a aussi la parole. Par contre, le vocabulaire des musiciennes passe par le fait d’avoir un instrument dans les mains. Dans cette pièce, les musiciennes dansent aussi, elles s’engagent physiquement avec beaucoup d’ampleur. Elles ont aussi participé à l’écriture au plateau et au travail sur l’espace car la musique c’est la vibration, c’est le son qui voyage dans l’espace, c’est l’expansion de leurs corps. Les danseuses travaillent tout le temps avec cette vibration du son des cuivres et cette cohabitation a été une très belle aventure pour la création.

DCH : Quels sont les sujets de la pièce ?

Aina Alegre : J’ai voulu travailler autour de l’air. L'air me paraît être à la fois tout et rien. L'air implique pour moi un nouvel imaginaire du corps que celui associé à la coresponsabilité des corps dans l’espace. L’air entre dans nos corps et en sort en permanence. Sans partir sur une piste directement écologiste, je veux ici parler de l’air comme générateur d’énergie, d’efforts continuels à travers la respiration et d’un rapport au monde non fataliste. Cette pièce a aussi pour thème la résistance et la persévérance.

DCH : Le titre de la pièce peut être lu de deux manières qui sont en plus contradictoires. Soit il nous dit que « Ceci n’est pas un acte d’amour et de résistance », soit il s’agit d’une pièce intitulée « THIS IS NOT » et qui est, justement, un (acte d’amour et de résistance).

Aina Alegre : Complètement. Par ailleurs, on me dit parfois : Mais si cette pièce n’est pas un acte d’amour et de résistance, alors c’est quoi ? Et moi-même, j’avais dans le passé mijoté un titre pour une pièce hypothétique, une sorte de manifeste artistique autour de l’acte de dire « non » pour poser un acte d’amour et de résistance.

DCH : La création de THIS IS NOT… est-elle liée à votre candidature ou votre prise de fonctions au CCN ?

Aina Alegre : Je suis arrivée au CCN en janvier 2023, alors que le projet a commencé en pleine pandémie. Malgré les mesures sanitaires je ne voulais pas enchaîner, après R-A-U-X-A avec un autre solo ni me trouver isolée dans mes propres processus… J’avais envie de travailler avec un groupe et c’est la première fois que je rassemble autant d’interprètes sur le plateau. Et je voulais travailler autour de l’air, ça me paraissait évident. Mais je ne voulais pas me limiter à un travail autour de la respiration. Je rêvais d’instruments à vent, car cela génère énormément d’imaginaires. Le tuba et le trombone sont comme des extensions du corps. C’est un travail de pression du souffle qui s’expand dans l’espace.

DCH : Comment allez-vous travailler au CCN ? Aurez-vous une compagnie permanente ?

Aina Alegre : L’idée n’est pas d’avoir une compagnie permanente. Je continuerai surement à travailler avec les collaborateurs et collaboratrices, mais à la fois, je souhaite aussi faire des nouvelles rencontres pour pouvoir faire évoluer mon imaginaire et mes méthodes de travail.

DCH : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée, à vous et Yannick Hugron, de postuler ensemble pour la direction du CCN ? C’est tout de même la première fois que quelqu’un qui n’est pas auteur de ses propres œuvres accède à la direction d’un CCN.

Aina Alegre : Il est vrai que le système des CCN est très axé sur les chorégraphes et que Yannick est interprète et a travaillé avec différentes compagnies. Nous avons des savoir-faire qui ne sont pas les mêmes et en tant qu’interprète il a une autre relation à l’expérience de la transmission, de la formation et de l’archivage chorégraphique dans son corps. Disons aussi que ces maisons sont les lieux où nous, artistes chorégraphiques, passons la plus grande partie de notre temps, par le travail de recherche et de création. Et dans ces équipes il n’y a pas que des chorégraphes mais aussi les interprètes, les dramaturges, les ingénieurs son et lumière etc. Yannick et moi-même, nous étions d’accord sur l’idée qu’il fallait donner plus de visibilité et d’appui à tous ces métiers. L’une des manières de s’y engager est de codiriger le CCN à deux métiers, de penser ce projet ensemble et de se partager les missions qui dépendent de la direction d’un CCN.

DCH : Est-ce que cette idée d’horizontalité et de partage rentre aussi dans votre processus de création et donc dans la relation entre vous, chorégraphe, et les interprètes ?

Aina Alegre : Pas systématiquement. Yannick a été interprète pour ETUDE 4, Fandango & autres cadences que nous avons présenté au Festival d’Avignon, pour Vive le Sujet ! et il a été assistant pour THIS IS NOT… Notre relation change en fonction du projet, mais il ne participe pas systématiquement à tous mes projets de création. Quant aux interprètes, ma relation avec elles et eux change aussi en fonction du projet et du contexte. Je dirais qu’à chaque processus il s’agit d’une aventure à inventer en termes de relations. 

DCH : Quels sont vos projets pour le développement des activités du CCN ?

Aina Alegre : L’idée n’est pas de faire tabula rasa de tout ce qui a été développé par nos prédécesseurs. Nous allons persévérer dans beaucoup de ce qui a été mis en place sur le territoire, mais nous allons lui donner une nouvelle dimension par sa vision et sa structure, en l’orientant un peu plus à notre projet. Nous allons renforcer, au sein de ces activités, l’idée du rassemblement qui est inhérente à mon travail artistique. Nous allons creuser cette idée en pensant le CCN comme une maison qui rassemble les artistes, les métiers et le public, en menant des projets qui ont un regard fort sur d’autres disciplines artistiques comme la musique, les arts plastiques ou encore sur les nouvelles dramaturgies, d’autant plus qu’il est possible de tirer une grande force du fait que le CCN est situé à l’intérieur de la MC2 : Maison de la culture de Grenoble qui a une programmation extrêmement riche. Nous espérons tisser des liens forts avec cette scène nationale, par exemple par des ateliers et des ouvertures studio et finalement créer des liens entre nos programmations. Et nous allons renouveler nos artistes associés dont la première est Ruth Childs. Cette artiste « multi-casquettes » représente aussi cette nouvelle identité du CCN car elle est chorégraphe, interprète et performeuse et porte l’héritage artistique familial qui implique une relation forte au travail de transmission.

DCH : Alors parlons de vos envies et de quoi vous rêvez, vous et Yannick Hugron, pour le devenir du CCN.

Aina Alegre : De mon côté, concernant les créations, je vais mettre en place plusieurs projets. Le premier est très en lien avec un projet participatif en dialogue avec le patrimoine que je vais créer en juin en ouverture du Festival de Marseille, dans le Fort Saint Nicolas. Cela s’appelle Parades & Désobéissances. C’est un projet qui implique un groupe de 110 amatrices et amateurs, et nous voudrions le recréer à Grenoble sur un site propice au dialogue entre un tel groupe, l’architecture du lieu et sa mémoire à laquelle la danse donne son souffle. D’autre part je suis en train de réfléchir, et c’est tout récent, à une nouvelle création impliquant trois danseurs et quatre musiciens, cette fois jouant d’instruments à cordes…

DCH : Quel est votre rapport à Grenoble et son territoire ?

Aina Alegre : C’est un territoire qui m’intéresse beaucoup, en particulier depuis que j’ai mené une étude et présenté une performance autour des pratiques chamaniques de la région et leur usage du tambour. C’était dans le cadre du festival Transe-en-danse organisé par la MC2, le CCN2, le CDCN Le Pacifique et le Musée Dauphinois qui est situé dans la montagne près de Grenoble. C’est là que je me suis rendue compte de la géographie passionnante autour de la ville avec ses zones rurales et sa haute montagne. D’un environnement à l’autre, les corps des gens ne sont pas les mêmes. Cette relation entre la danse, la géographie, les corps et l’environnement est intéressante à explorer.

Propos recueillis par Thomas Hahn

THIS IS NOT (An Act of Love and Resistance) : 22 mars 2023
Biennale de Danse du Val-de-Marne - Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roy

6 mars au 9 avril 2023 : 22e Biennale de danse du Val de Marne 
30 mai 2023 : Festival June Events

Création Parades & Désobéissances le 17 juin au Festival de Marseille.  

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