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La 41e édition de Montpellier Danse

Grandes écritures, regards sur notre époque et rencontres danse-musique se conjuguent à l’Agora. 

Montpellier Danse 2021, c’est une farandole d’œuvres exigeantes, pour les interprètes comme pour le public qui sera ainsi amené à questionner l’évolution actuelle du monde dans des images de corps et dans l’histoire du XXe siècle. L’aspiration vers le haut se traduit, très concrètement, chez Rachid Ouramdane dans l’idée de Corps extrêmes : corps entraînés pour résister aux éléments, capables de développer des capacités hors du commun et d’accomplir des prouesses défiant la gravité. Le nouveau directeur de Chaillot-Théâtre National de la Danse invite Nina Caprez, championne suisse d’escalade et Nathan Paulin, funambule et champion de highline, dans l’idée de trouver une écriture commune entre danse et prouesses sportives hors sol, pour mener à chaque fois un dialogue avec le lieu investi. On attend donc cette création pour voir comment y est abordé le rapport au vide, au-dessus duquel Caprez et Paulin ont trouvé leur terrain d’action, mais tout autant pour se laisser surprendre par la manière d’investir le Théâtre de l’Agora où l’on imagine Paulin se laisser inspirer par l’architecture l’ambiance du lieu. 

Corps philosophiques et mythologiques

Angelin Preljocaj, Dimitris Papaioannou et Sharon Eyal ont forgé trois écritures majeures actuelles, clairement définies et ancrées dans les historiques culturels et chorégraphiques de leurs pays respectifs. Dans sa nouvelle pièce, offerte à Montpellier en création mondiale, Preljocaj interroge l’époque charnière de l’après-guerre à travers deux de ses icônes : Hendrix à Woodstock en 1969, et la pop-philosophie de Gilles Deleuze, à travers des cours du philosophe à l’université Paris VIII, au sujet de L’Ethique de Spinoza. Intéressé par la transcendance des corps, il les inscrit dans la rencontre entre rock et philosophie. Aux sons et à la pensée, il ajoute la chair, dans l’idée d’une recherche qui ouvre de nouvelles façons de penser le monde et d’en jouir. Après avoir abordé l’univers et ses planètes dans Gravité, le directeur du CCN d’Aix-en-Provence met cette fois les corps, secoués par les riffs de Hendrix, en relation avec une pensée qui en découd avec le concept de dieu. Le titre ? Deleuze/Hendrix, en toute simplicité. Et la parole devient musique et les corps, philosophiques.

Chez Dimitris Papaioannou, le corps est mythologique. Après les toutes premières représentations à La Biennale de la Danse de Lyon, c’est à Montpellier qu’il amène son nouvel opus, consacré au mythe de Thésée, et donc à notre fascination pour les monstres que nous ne cessons de combattre. Les images sont grandioses, les corps souvent nus, et parfois se meuvent à six jambes. Dans cette Transverse Orientation, Papaioannou artiste visuel à l’origine, donne l’impression qu’il fait se rencontrer les univers de Pina Bausch, de Romeo Castellucci et de Josef Nadj. Car on voit ici aussi du burlesque et autres coups de pinceau qui peuvent surprendre même ceux qui ont suivi son travail depuis le fameux Still Life  qui a fait de Papaioannou le nouveau prophète du corps humain, toujours en lien direct avec les grands motifs de l’histoire de l’art européen. 

On a souvent vu de grandes ovations du public à Montpellier Danse, mais celles récoltées par Sharon Eyal se distinguent car elles sont plus rock, plus déchaînées que les autres. Les spectacles de la chorégraphe israélienne et de son compagnon compositeur Ori Lichtik galvanisent et libèrent des énergies singulières. Chapter 3 : The Brutal Journey of the Heart est le volet ultime d’une trilogie consacrée aux errances affectives, où le langage cinétique et visuel d’Eyal affirme une fois de plus son obsédant va-et-vient entre lumières et ténèbres.

Sororités et Frérocité

Quand Fabrice Ramalingom intitule sa nouvelle pièce Frérocité, on croit d’abord à une distribution exclusivement masculine, comme le Montpelliérain a pu en réunir dans le passé. Mais il pourrait autant être question de sorocité. Sauf que pour une interrogation globale de l’état de l’humanité, des inégalités, de la violence engendrée par la course au profit et au rendement, tel que Ramalingom entend le mener ici, la gent masculine s’attire toujours une attention particulière, à la mesure de ses responsabilités. La férocité entre ceux qui feraient mieux d'être frères dans la cité est un sujet quasiment inépuisable, confié à sept interprètes professionnel.le.s et dix-huit citoyen.ne.s. 

L’Israélien Arkadi Zaides n’entend pas non plus détourner le regard de la violence. Non dans le sens d’une fixation sur le conflit israélo-palestinien, mais dans une visée universelle. L’ancien interprète de la Batsheva et de Yasmeen Godder évoque dans Necropolis les dizaines de milliers de migrants qui ont laissé leurs vies en essayant de gagner l’Europe. Un duo sur fond d’une réalité terrifiante, pour mieux comprendre dans quel monde nous vivons. Les deux projets ont reçu le soutien de la Fondation BNP Paribas et ont été accueillis en résidence à l’Agora, Cité internationale de la danse de Montpellier. 

Et on arrive ainsi à une sorte de festival dans le festival, à savoir un portrait de la Québécoise Daina Ashbee. Pas si sûr par ailleurs qu’elle se voie vraiment en Montréalaise, puisqu’elle est une enfant authentique des Crees, peuple originel des terres canadiennes. Jamais elle n’a été aussi présente sur les scènes françaises, et l’emballement pour sa sensibilité et sa radicalité se situe dans la grande tradition de notre accueil de la liberté d’esprit des chorégraphes québécois qui écrivent à partir du corps et d’enjeux radicaux, de Marie Chouinard à Dave St-Pierre, en passant par Daniel Léveillé. La voir à Montpellier Danse avec cinq pièces de son répertoire, essentiellement constitué d’odes à la féminité et la sororité, est l’une des rares occasions d’étudier à fond l’univers d’un.e chorégraphe. Jean-Paul Montanari affirme ici ses ambitions de « collectionneur » qu’il cultive [lire notre interview] d’année en année et parfois au sein d’une même édition. 

De musiques et de rêves

Pour sa nouvelle création, Salia Sanou se souvient du grand discours prononcé par Martin Luther King en 1963, avec la fameuse exclamation: « I have a dream ». Le chorégraphe en retient non seulement le message d’égalité et d’espoir, mais aussi la dimension poétique du rêve en tant que tel, ici conjugué avec une écriture à la fois physique et musicale autour de la question de la collectivité et du partage. Et pourtant, aucun discours pathétique à craindre, mais une vraie pièce de danse musicale en perspective, avec huit danseurs, quatre chanteuses et les chansons écrites par Lokua Kanza, Capitaine Alexandre et Gaël Faye pour trois soirées au Corum, du genre à marquer la mémoire du festival. 

counting stars with you (musiques femmes) : Le titre de la nouvelle création de Maud Le Pladec semble prolonger le plus naturellement celui de Salia Sanou. La directrice du CCN d’Orléans a composé un voyage à travers plusieurs siècles de musiques écrites par des femmes, dont Kassia de Constantinople, Hildegard von Bingen, Clara Schumann, Giovanna Marini... En somme, un matrimoine musical universel qui impulse un dialogue intense avec un langage dansé en fusion avec la voix, le souffle et le chant.

Et comme s’il s’agissait d’un triptyque, Jann Gallois se transforme en musicienne, dans son solo Ineffable, autour de l’art du wadaiko (ou taiko, tambour traditionnel japonais) et autres musiques sacrées, tissant des liens avec l’électro, comme elle le fait ici entre danses traditionnelles, arts martiaux, mudras et hip hop. 

Et à Montpellier Danse on aime la liaison des corps avec la musique jouée sur scène, car Jann Gallois et Salia Sanou ont, eux aussi, été soutenus par BNP Paribas et accueillis en résidence. La programmation complète, avec les propositions de Christian Rizzo, Sylvain Huc et autres Thomas Lebrun ou encore toute la programmation cinéma est à trouver ici.

Reste le grand regret de ne pas pouvoir recevoir la Batsheva qui ne peut, pour des raisons incombant à son calendrier de tournées, se soumettre aux périodes de quarantaine, mais Montpellier Danse nous la promet pour 2022. 

Thomas Hahn

41édition de Montpellier Danse, du 23 juin au 16 juillet 2021

Image de preview : WTIM Daina Ashbee © Anya Bowcott

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