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À Mimos, l’envol du geste

La 37e édition du festival périgourdin a témoigné de la vitalité de l’art du geste et de son lien avec le monde actuel.

Indéniablement, l’art du geste a le vent en poupe. La 37e édition de Mimos l’a prouvé par des salles et des stages pris d’assaut. Et quand des compagnies comme Carabosse ou les Barcelonais d’Insectotròpics ont présenté leurs dernières créations en nocturnes à ciel ouvert, ni la chaleur écrasante des premiers jours ni les pluies diluviennes des jours suivants n'ont fait reculer le public. A 99% ils étaient au rendez-vous, bravant les manifestations du changement climatique. Car il y a un esprit Mimos, une vraie communauté, ouverte et sensible. A partir de quoi la marche contre le vent de Marceau - rappelons ici que l’existence même de Mimos est un hommage à son séjour à Périgueux pendant la Résistance - se transforme aujourd’hui en un envol artistique. Une pièce de théâtre masqué contemporain comme Amour de la compagnie Marie de Jongh (Bilbao) participe d’un renouveau prometteur de l’art du geste. Par un théâtre sans paroles, on peut défendre des idées humanistes dans la force de la poésie, sans être didactique.

Le geste comme méta-danse

Entre l’art du geste et l’art chorégraphique, les frontières sont plus que jamais poreuses, et Mimos profite bien des allers-retours entre narration et recherche formelle. Rien ne le prouve mieux que le fait que la grande vedette actuelle des programmations et festivals de danse pratique un art du geste pur et travaille presque exclusivement avec des interprètes venant d’autres champs: Il s’agit de Dimitris Papaioannou. Ce Josef Nadj du XXIe siècle sera-t-il un jour au rendez-vous dans ce festival de référence qu’est Mimos ?

En attendant, le public de l’édition 2019 a pu assister à quelques basculements du regard sur l’art chorégraphique. Danse verticale, danse sur échasses, danse rituelle… A  chaque fois il s’agissait d’un travail à partir de la danse, chaque fois porté par des artistes espagnols. On devait la forte présence de compagnies chorégraphiques ibériques à Dominique Couvreur, officiellement directrice artistique de cette édition après avoir contribué aux précédentes. Elle a ainsi su dessiner un panorama fort instructif de l’état de la création du pays.

Uno  de Delrevés

Et on les a vus s’attaquer aux codes et ébranler les équilibres. La danse verticale du trio Delrevés décale le Pas de quatre du Lac des Cygnes et autres motifs chorégraphiques puisés dans l’histoire du ballet et de la danse contemporaine. Tout part ici du principe qu’on peut certes danser sur pointes sur le plateau d’un théâtre, mais tout aussi bien sur la façade, en extérieur et donc à la conquête de l’apesanteur, où le rapport entre le geste chorégraphique et le poids du corps bascule et s’inverse, où chaque geste se danse au ralenti et s’émancipe du contexte narratif, pour parler en son nom propre.

Sans parler des chaussons qui ne s’abîment pratiquement pas puisque les appuis bénéficient d’une innocence gravitationnelle que la ballerine romantique s’efforce à suggérer, en activant une convention qui ressemble à un contrat  entre la danseuse et son public. Quand le balletomane franchit la porte de l’Opéra, il est déjà en demande d’illusion. Chez Delrevés, chaque geste, chaque pirouette, chaque rebond dévoile son rapport réel à la gravité. Avec l’aide des cordages et du baudrier, la force de l’interprète l’emporte sur l’attraction terrestre, si bien que seuls les artistes décident de la durée de leur envol au-dessus des têtes du public. La gravité, dans tous les sens du terme, est vaincue.

Galerie photo © Thomas Hahn

Mulïer (indoor) de Maduixa

Si le ballet peut se danser sur le mur extérieur du théâtre, l’équation s’inverse carrément quand toute forme de danse peut conquérir le plateau. La danse sur échasses de la compagnie Maduixa (Sueca, València) est née dans et pour la rue, affrontant le réel et se laissant traverser par lui. Dansé par cinq femmes qui traversent avec fougue le travail à la chaîne ou dans les champs, l’accouchement mais aussi les fêtes, Mulïer rend hommage aux héroïnes du quotidien, à leurs peines, leurs plaisirs et leur solidarité. En frappant le bitume de leurs échasses, ces femmes écrasent en même temps la pointe de plomb du chausson. Elles ne sont pas ballerines, elles se battent !

Le chorégraphe de ce quintette féminin et féministe, Joan Santacreu (un homme !) a relevé le défi de créer une version pour la salle. En passant de 35 minutes à une heure de spectacle, il ajoute des ambiances plus intimistes et une création de lumières sophistiquée (signée Ximo Olcina). Mais l’écrin du plateau n’est pas un complice acquis d’avance. Les cinq Carmen ou Bernarda Alba sur échasses traversent toujours les mêmes situations de vie, elles ont toujours autant d’énergie à déverser, et pourtant la surexposition et la netteté des éclairages de scène confinent les femmes, à l’origine si conquérantes, à une mécanique bien huilée, puissante mais au service d’un rendement qui devient une fin en soi.

Sans parler de la position confortable du spectateur assis dans son fauteuil qui n’a plus à lutter contre l’inconfort de la rue, qui ne partage plus avec les danseuses l’exposition aux éléments. Au lieu d’entourer les interprètes, librement et comme dans une arène, le public est ici obligé à regarder le spectacle frontalement. Le quatrième mur pointe son nez, comme si les mains de Marceau s’étaient invitées dans la salle. Et quelle que soit la force de frappe de l’échasse féminine décuplée, il vaut mieux libérer le ballet de ses fétiches de scène que de créer une autre convention, là où s’exprimait un désir de liberté.

Rito d’Otradanza

Scène urbaine et plateau de théâtre peuvent se fondre en un. Il faut pour cela une salle modulable, comme celle de l’Agora, à Boulazac, dédiée aux arts de la piste et fidèle partenaire de Mimos. Cette année, sur une piste circulaire à même le sol, entouré du public, le duo Otradanza releva un défi aussi acrobatique que chorégraphique.

Accompli dans un espace protégé par des forces surnaturelles, leur Rito originel et sensuel garde une saveur sacrée, à la manière des Devadasi indiennes ou des cosmogonies d’Afrique et d’ailleurs. Presque nus mais recouverts de glaise, Asun Noales et Sebastian Rowinsky quittent lentement leur position allongée, les bouches liées par un interminable baiser. Les corps se frôlent, s’imbriquent, se chevauchent et finissent par se séparer. Mais il y a ce fil, rouge comme leur sang, qui sort de leurs deux bouches et dit leur lien intime, voire ombilical. Sauvage et spirituel à la fois, l’acte fusionnel conduit le duo vers un état d’épuisement profond. Ils se sont vidés, le public part rechargé.

En même temps, il y avait une autre entrée dans la thématique annoncée de cette édition de Mimos, à savoir la question du corps engagé. Car l’art du geste est certes universel et intemporel, il ne pose pas moins un regard sur les problèmes de notre époque. Avec poésie et humour, gestes burlesques ou ironiques, les artistes de Mimos 2019 ont évoqué l’industrie agro-alimentaire (Rêves d’une poule ridicule, Cie l’Hyppoféroce), notre manque de recul face à la commercialisation des centres-villes (Vitrines en cours..., Cie Volubilis), le Printemps arabe et le rôle des média sociaux (The Legend of Burning Man, Cie Insectotròpics) ou la migration (Mo..., Cie L’Homme debout). Ceci dit, la démarche relève plus de la tradition que de la révolution. Marceau en son temps écrivait et interprétait déjà des mimodrames sur les injustices sociales et leurs victimes.

Mo ou le ruban rouge de Benoît Mousserion

Inspiré du sort et de l’image du petit Aylan Kurdi, échoué mort sur une plage en Turquie, le fondateur de la Compagnie de l’Homme debout a imaginé une marionnette géante en osier. Fragile, aérienne et visible de loin car mesurant huit mètres, elle représente les rêves d’un enfant qui voudrait fêter son anniversaire. Mais  le ruban rouge de son paquet cadeau – offert en mirage – se transforme en centre de rétention. La légèreté et l’inversion des dimensions – le petit bout d’Eylan s’incarnant en géant – découlent directement d’une autre source d’inspiration, à savoir les recherches de Boris Cyrulnik sur la résilience. La transparence de la marionnette – et l’énorme travail des techniciens-manipulateurs qui l’animent – écartent tout danger de mièvrerie. Le petit Mo plane, mais son rêve échoue derrière les barreaux en ruban rouge.

Galerie photo © Thomas Hahn

Et après Mimos ? A la rentrée, l’art du geste prendra un envol de plus, avec l’ouverture définitive de SO MIM, le centre de ressources, disponible en ligne et à la médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux, sera enfin ouvert dans sa forme complète. Offrant aux amateurs, aux artistes, aux programmateurs, aux chercheurs etc. un pôle unique au monde, SO MIM, financé à 70% par le Ministère de la Culture, aime à fédérer les forces vives de cet art et à lui donner des ailes supplémentaires.

Le seul regret sera que Chantal Achilli, qui a construit le projet artistique de l’Odyssée, scène quelle a dirigée pendant deux décennies, et après s’être tant battue pour que SO MIM puisse voir le jour, ait été obligée de prendre sa retraite en octobre dernier pour des raisons échappant à sa volonté. Sa longue mission s’achève donc sur un ultime succès, qu’elle lègue à Nathalie Elain, la nouvelle directrice de L’Odyssée, théâtre de Périgueux et structure portant le festival Mimos, après une saison 19/20 à L’Odyssée, placée sous la direction intérimaire d’Anne-Lise Vacher et Aurélia Géron. Et on souhaite à  la nouvelle capitaine que - pour parler avec Marceau - la suite soit placée sous l’enseigne de l’envol de la colombe, et non sous celle de la marche contre le vent.

Thomas Hahn

37e édition de Mimos, Périgueux, 23-27 juillet 2019

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