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Montpellier Danse : « Twenty-seven perspectives » de Maud Le Pladec

Une très savante (un peu trop ?) composition chorégraphique, avec et contre la Symphonie n°8 inachevée de Schubert.

Dans son decorum dorénavant très ritualisé, le festival Montpellier danse compte une magnifique figure obligée, qui est sa soirée de haute composition contemporaine, donnée sous les étoiles. Et dans le bref envol d'un mouvement initié haut, depuis le buste, notre esprit a voulu capter une réminiscence fugitive de Trisha Brown, ici ou là, dans la pièce Twenty-seven perspectives, créée par Maud Le Pladec dans la cour de l'Agora. Les rendez-vous sous les étoiles comportent aussi leurs risques, d'aléas climatiques.

Ce fut hélas le cas ce soir-là, et contre une pluie fine les interprètes ont dû longtemps, réserver la puissance de leurs élans, pour éviter les chutes. Il y eut même interruption de la représentation. Puis reprise, alors un ton très au-dessus. Mais dans l'ensemble, de telles conditions sont à prendre en compte pour relativiser ce qu'il est possible d'écrire sur cette pièce à ce stade.

Galerie photo © Laurent Philippe

On ne sait toujours trop quoi penser de la stratégie mise en œuvre par la chorégraphe à propos de la musique de sa pièce – qui fonde son propos. L'idée première semblait être de composer la danse sur la Symphonie n°8 inachevée de Schubert, puis d'opérer une audacieuse suppression de l'écoute musicale au moment de donner la danse à voir. Laquelle se serait exposée sur une absence. En lieu de quoi, le musicien contemporain Pete Harden a produit une réécriture qui donne finalement à entendre l'essentiel de la musique de Schubert, mais comme passée au filtre de couleurs, d'accents, de césures, et toutes vivacités abrasives, bien actuelles.

Si brillant cela sonne-t-il, quelque chose reste au milieu du gué, dans ce projet, s'offrant en toile de fond du sentiment mitigé que laisse la pièce. On y trouve bien des arguments convaincants, certains étourdissants, voire magnifiques, mais sans qu'un enthousiasme d'ensemble parvienne à s'en dégager. Dix interprètes (sans rien qui souligne le genre, ni en nombre ni en attitudes), évoluent tout contre la musique. Entendons que rien de leurs gestes n'est indifférent ou lointain à cette source. L'écoute musicale, son commentaire gestuel, est le propos, au fil de vingt-sept variations distinctement égrenées.

Cela se passe dans le creusement des écarts, l'élasticité différée des réponses, le ménagement des espaces et respirations. Le geste se situe à la fois contre et tout contre le son. Rappelons qu'on a là, en somme, deux musiques en une (celle de Schubert et celle de Pete Harden). Il en découle un genre de rencontre entre la science musicologique et l'éclat suspensif d'une perception contemporaine.

Galerie photo © Laurent Philippe

Les corps sont debout, ils se conjuguent sur trames et par lignes, par rapprochements, contournements et esquives. Cela se lit. Il ne faut pas en attendre de grandes fusions dans le contact. Les dynamiques compositionnelles sont celles d'appariements, de balayages, de zébrures des trajectoires, et de sursauts dans les élans. C'est lamellé, avec aussi des scintillements de mosaïque agitée. Cela sous les lumières intrépides d'Eric Soyer.

Les attaques, les entrées, les sorties, sont très marquées, exposées incisives, notamment lorsque les interprètes descendent du plateau pour s'asseoir au premier rang des gradins, et depuis cet emplacement, opèrent des remontées en scène, d'un enjambement décidé. Au total on cède à l'ennivrement contemporain des figures d'ensemble qui émergent d'abord par l'esquisse, sourdement, pour se déployer en résonances, sans jamais le céder à l'enfermement dans l'unisson massif.

Si une ligne s'instaure, c'est pour mieux se diluer, voire se disloquer. Tout cela s'émaille de blasons solistes, dont certains révèlent des tempéraments corporels bouleversants. Plutôt que la Trisha Brown évoquée plus haut de manière fugace, le ressort tonique est celui, rugueux, plutôt accidenté, de facettes livrées à l'arraché, dans une humeur musculaire qui n'est pas sans rappeler un univers Charmatz.

Galerie photo © Laurent philippe

Le propre de Maud Le Pladec est alors de traiter vigoureusement du rapport à la musique, pièce après pièce, un peu à la façon d'une Keersmaeker, mais en tonalité autre, à la fois farouche et généreuse, d'une immédiateté engagée, peu impérieuse. A ce stade du commentaire, on peine donc à discerner ce qui suscite toutefois la réserve. Alors ceci : Twenty-seven perspectives est la pièce qui marque, volens nolens, l'arrivée de la chorégraphe à la tête du Centre chorégraphique national d'Orléans.

Dans la confusion inquiétante qui entoure les processus de nomination à ces postes depuis quelques temps, Maud Le Pladec figure heureusement parmi ces artistes qui ont su bousculer les certitudes installées de la danse française héritée des années 80. A ce stade de reconnaissance, il serait naïf, oxymorique et aporétique d'en attendre un processus perpétuel d'insurrection critique. Certes. Mais les perspectives qu'elle vient de dégager suggèrent l'inquiétude qu'elle s'en tienne à l'instauration d'un style. Magnifiquement maîtrisé. Mais un style, quand tout, dans l'époque, ne crie qu'urgences et inquiétudes.

On est sous les étoiles. Or on peine à rêver. Les intempéries ne sont jamais si loin.

Gérard Mayen

Spectacle vu le mercredi 4 juillet, théâtre de l'Agora, Montpellier Danse.

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