Émilie Lalande réussit avec brio son pari un peu fou de redonner vie par la danse au joyau de Grimault et Prévert, Le Roi et l’Oiseau. Après sa création au festival Playground, cette pièce tout public et de toute beauté part en tournée.
Émilie Lalande a été une interprète phare d’Angelin Preljocaj avant de créer (1)Promtu, une des seules compagnies chorégraphiques à mettre le jeune public au cœur de son projet artistique, il y a une dizaine d’année. Forte d’une expérience qui l’a vue récemment couronnée du Prix d’Encouragement de l’Académie des beaux-arts, elle se plonge aujourd’hui – après Pierre & le Loup ou Le Carnaval des Animaux – dans le célèbre film d’animation de Pierre Grimault et Jacques Prévert pour redonner vie à sa poésie par la danse.

Une histoire d’amour et de rébellion
Pour ceux qui n’auraient plus en mémoire l’histoire de ce conte créé par les deux complices à partir de La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen, peut-être est-il utile d’en rappeler ici la trame. Le roi Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize, un tyran aussi ridicule que mégalomane, impose son despotisme au royaume de Takicardie. Chaque soir il se rend dans la plus haute tour de son palais qui cache ses appartements secrets et le tableau d’une belle bergère qu’il admire autant qu’il méprise celui du « petit ramoneur de rien du tout » qui lui fait face.
Mais alors qu’à la nuit tombée les tableaux prennent vie, le portrait du monarque, qui aura à cœur d’éliminer son double de la vie réelle, se met en tête d’épouser sur le champ la bergère, qui elle n’a d’yeux que pour son ramoneur. Dans la course poursuite qui s’ensuit, les deux tourtereaux font la connaissance d’un oiseau maquisard, gouailleur et flamboyant, qui les aide dans leur fuite.
Une histoire d’amour donc, mais aussi de rébellion qui reste malheureusement intemporelle tant les (plus ou moins apprentis) dictateurs sont loin d’avoir quitté notre monde. « Chaque époque a vu naître ses figures autoritaires, et la nôtre ne fait pas exception. Avec Le Roi et l’Oiseau, j’ai souhaité́ questionner les notions de liberté́ et d’oppression, d’amour et de résistance » déclare d’ailleurs Émilie Lalande avant d’ajouter : « Créer pour le jeune public, c’est aussi un acte de confiance en l’avenir : c’est croire que la beauté́, l’émotion et l’art peuvent éveiller une conscience libre et éclairée. »
Une adaptation fidèle et ingénieuse
Après qu’un bref prologue en guise d’hommage au duo Grimault Prévert nous a montré les deux artistes en train d’élaborer leur film, nous découvrons nos protagonistes. Le Roi, l'Oiseau, la Bergère et le Ramoneur prennent chair accompagnés de deux autres interprètes incarnant tour à tour les sujets ou la police du monarque. La fidélité d’Émilie Lalande à l’œuvre originale frappe d’emblée pour qui a encore les images de ce chef-d’œuvre en tête. Nous reconnaissons avec bonheur la poésie de Prévert et la musique de Wojciech Kilar mais les personnages, eux-aussi, nous paraissent familiers.
Il y a bien sûr dans la gestuelle produite par Émilie Lalande des éclats très Preljocaj, énergiques et précis, puisque cette danse qui fait partie de son bagage a façonné l’interprète qu’elle était avant de devenir chorégraphe. Mais se laisse voir plus encore la démarche rigide, pédante et ridicule d’un Roi suffisant qui avance le poids du corps sur les talons, poitrail bombé ; l’élégance, l’insolence et la liberté d’un Oiseau frondeur et insaisissable qui joue largement de ses bras ; la délicatesse et l’innocence d’un jeune couple qui prend son élan vers l’émancipation.

Quant aux décors, créés également par la chorégraphe qui montre ainsi qu’elle est pétrie de multiples talents, ils sont remarquables d’intelligence et de charme. Quelques modules sur roulettes déplacés aisément par les interprètes à vue sculptent l’espace, tiennent lieu d’escalier ou figurent une chambre. Le château, lui, s’érige grâce à un système d’aériens paravents blancs, eux aussi mouvants, qui savent se transformer en un labyrinthe plus que convaincant.
Galerie photo © Anaïs Baseilhac
Pour tous les publics
Lors des premières représentations données à l’occasion du festival Playground, des classes allant du CP au CM2 venues des écoles alentours remplissaient le bel écrin du théâtre de L’Envolée, Pôle artistique du Val Briard aux Chapelles-Bourbon. Il est aisé de deviner à entendre leurs « ho » et leurs « ha » dans les moments clés de l’intrigue et à constater leur présence concentrée le reste du temps qu’ils ont été conquis par le spectacle. Son ingéniosité, son indéniable charme et sa grande finesse font que les adultes le seront tout autant, qu’ils soient familiers du film d’animation dont il est inspiré ou non.
Delphine Baffour
Vu le 7 novembre à L’Envolée, Pôle artistique du Val Briard dans le cadre du festival Playground.
Le 21 novembre à l’Opéra de Massy,
les 27 et 28 novembre, aux Théâtres en Dracénie, Draguignan, dans le cadre du Festival de Danse de Cannes – Côte-d’Azur,
du 7 au 9 janvier à l’Espace Jean Legendre, Compiègne,
les 5 et 6 février à la Scène 55, Mougins,
le 10 mars au Théâtre d’Arles,
les 13 et 14 mars au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.
Chorégraphie et mise en scène : Émilie Lalande
Assistante chorégraphique : Audrey Lièvremont
Texte : Jacques Prévert
Musique : Wojciech Kilar
Conception lumières : Jean-Bastien Nehr
Scénographie : Émilie Lalande, Maël Darquey, Rafaël Talva
Costumes : Marie Hayer, Marie Vernhes, Émilie Lalande
Avec Marius Delcourt, Laurent Le Gall, Jean-Charles Jousni, Baptiste Martinez, Anaïs Pensé et Angélique Spiliopoulos.