Dans le cadre de l’hommage rendu à Merce Cunningham, le Ballet de l’Opéra de Lyon avait donné cet été les reprises de Summerspace et d’Exchange au festival Montpellier Danse. Depuis, la compagnie lyonnaise a fait entrer le 1ernovembre à son répertoire le magistral Scenario. C’est cette pièce qui concluait ses représentations parisiennes, du 14 au 20 novembre au théâtre du Châtelet.
Scenario, c’est d’abord une image visuelle saisissante : celle des costumes de la créatrice de mode Rei Kawakubo. La participation en 1997 de la fondatrice de la marque Comme des Garçons à la création d’une pièce de Merce Cunningham signait la première collaboration de ce dernier, à presque soixante-dix ans, avec une personnalité du monde de la haute couture. A voir le résultat, cela valait la peine d’attendre ! La styliste avait alors choisi de s’inspirer de sa collection phare « Body meets Dress, Dress meets Body » présentée un an plus tôt. Particularité : les vêtements étaient pourvus de capitonnages renflés, sur le ventre, le dos, la poitrine ou les hanches, destinés à déformer les corps de ceux qui les portent.
Galerie photo © Laurent Philippe
Dans Scenario, ils obéissaient en outre à des codes de couleur spécifiques : d’abord des rayures bleu pastel ou des carreaux verts printemps, puis un noir uni, pour finir par un rouge pétant. Kawakubo avait aussi signé la lumière et « l’espace » du spectacle, privilégiant une scène nue et blanche et des éclairages fluorescents afin de donner non pas « l’impression d’une scène, mais plutôt d’une pièce que le public aurait le sentiment de partager avec les danseurs ».
Autre particularité de la pièce, sa chorégraphie fut conçue à l’aide du logiciel Dance Forms. Cunningham imagina directement sur ordinateur les mouvements des diverses parties du corps des interprètes, avant de les assembler in vivoau plateau. Les quinze danseurs déroulent donc une série de duos, trios, quartets, quintets, sextets et ensembles, enchaînant treize parties successives sur la partition électro Wave Code A-Zdu compositeur japonais Takehisa Kosugi (qui fut à partir de 1995 le directeur musical de la Merce Cunningham Dance Company).
Galerie photo © Laurent Philippe
Techniquement complexes et comme désaxés par les protubérances des costumes, leurs gestes, sauts, équilibres et déplacements apparaissent pourtant incroyablement fluides. Mieux, malgré toutes ces contraintes, rarement la danse du maître américain aura paru aussi libre et légère. Cela tient bien sûr à son génie propre, mais il faut aussi souligner la très belle interprétation du ballet de l’Opéra de Lyon.
Comme on avait déjà pu en juger par la reprise en première moitié de soirée des deux autres pièces lors du festival Montpellier Danse (lire notre critique), la troupe maîtrise au plus juste ce répertoire qu’elle fréquente maintenant depuis douze ans. Quelques mois après sa création, Scenario avait été brièvement accueilli pour quelques représentations interprétées par les danseurs de la MCDC à l’Opéra Garnier. On se réjouit de pouvoir désormais le revoir, dansé par l’excellente troupe lyonnaise.
Isabelle Calabre
Vu le 14 novembre 2019 au Théâtre du Châtelet