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« Vendetta » de Link Berthomieux »

Tout est dans « t » ...

Un solo de hip hop dans le Off d’Avignon : le cliché du gros son et du lascar en bonnet déboule à la seconde d’autant que Link Berthomieux est un virtuose reconnu et que cela s’appelle Vendetta. Mais attention, ce court bijou joue sur les détails.

Pour les distraits, soulignons d’office que Vendetta s’écrit avec 2 « t »… Précision orthographique qui dissuade toute tentative de lire ce solo de Link Berthomieux -un des virtuose les plus remarquable de la scène hip hop- comme une illustration de la bande dessinée d’Alan Moore et de David Lloyd qui ont fait beaucoup pour la popularisation du masque des Anonymous, pas plus que comme une réponse à une pratique culturelle corse et contestable…

Vendetta avec 2 « t » est le prénom d’une chorégraphe américaine, Vendetta Mathea, auteur d’une cinquantaine de pièce, frottée de Manuel Alum, Alvin Ailey et Arthur Mitchell (en particulier période Dance Theatre of Harlem). Donc, une encyclopédie incarnée de la danse américaine et qui vit aujourd’hui à Aurillac !

Or, Vendetta Mathea se trouve être aussi, incidemment, la mère de Link Berthomieux. Ce qui donne à ce solo une dimension tout à fait passionnante.

Pour un compétiteur du Juste debout, le fameux concours de danse hip-hop, il faut faire preuve d’un certain esprit de contradiction pour commencer par une très longue séquence sur le dos, en quasi position fœtale, dans une pénombre traversée de musique vibratoire…

Et pour, avec une lenteur remarquablement maîtrisée, enchaîner une variation qui voit le danseur faire en plusieurs minutes ce que la vitesse permet aux danseurs d’exécuter habituellement en quelques secondes. Il faut près de dix minutes pour que Link finisse par se mettre debout et s’adresse au public. La pièce va alterner prise de parole et variations d’une maestria d’autant plus étourdissante qu’exploitant les ressources au combien complexe du ralenti absolu. Le hip hop devient alors une manière d’ascèse, un yoga métaphysique réellement fascinant.

Il faut donc lire cette façon exceptionnelle de déconstruire le hip hop par sa virtuosité même, en se défiant de tout ce qu’il peut avoir de spectaculaire comme un hommage à cette danse moderne et contemporaine à laquelle Link a été biberonné. Celui que l’on avait vu, en 2009, dans Homme Animal de Vendetta Mathea, à Avignon déjà, mais au sortir de sa formation, a certes acquis la maîtrise somptueuse d’une technique, mais il prouve qu’il peut s’en détacher, qu’il n’en est pas dupe ni prisonnier.

Certes, cela tend un peu vers l’oraison new-âge et la danse en dit suffisamment pour que le codicille parlé qui conclut soit superfétatoire. Link est encore jeune, il ne se fait pas tout à fait assez confiance. Cela le rend encore plus émouvant.

 

Philippe Verrièle

Vu le 24 juillet 2019 au théâtre Golovine

Festival d'Avignon 2019

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