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« Road movie » de Dominique Boivin

Road movie de Dominique Boivin, « autoportrait dansé » créé, il y a quelque temps déjà, étrenné à Saint-Étienne-du-Rouvray, peaufiné à Angers, à Fécamp, au Mont-Saint-Aignan et au Havre, vient d’être donné à la Maison des métallos dans le cadre de la carte blanche au chorégraphe « On séniorise » et la série Coops ou coopératives artistiques programmées tous les mois par Stéphanie Aubin et son équipe.

Le dispositif, la scénographie, les moyens de production, le vestiaire et les effets spéciaux sont d'une précision et d’une efficacité diabolique. Un Revox du bon vieux temps, moyen analogique de capter et de diffuser dans les meilleures conditions musiques, voix et bruitages (cf., par exemple, celui du grincement de porte exagéré digne d’une série B de Mario Bava) est déclenché à vue par l’auteur-interprète du one man show non sans un test sonore manuel préalable qui fait penser aux scratches de DJ. Des lampes d’architecte télécommandées délimitent la scène et complètent l’éclairage ambiant. Un écran blanc pour nuit blanche couvert d’une couche d’aluminium fait pendant, côté cour à la console audio. Une table aux lignes épurées est à l’avant-scène, légèrement décentrée, à l’instar du spectacle auquel nous sommes conviés.

D’autres éléments de décor et accessoires auront leur rôle à jouer, comme l’étagère métallique bringuebalante, à l’arrière-plan, que l’auteur du texte et des gestes associera à son épine dorsale, provoquant les premiers rires de la salle. Comme les mange-disques vintage orange de type VTech restituant les chansons dans une gamme de fréquences pour le moins réduite. Ou encore comme la planche à roulettes customisée autorisant le danseur à exécuter une variation entière couché sur le dos. Les objets, chez Boivin, sont là comme des béquilles empêchant un corps de feu follet, toujours en mouvement, donc en déséquilibre, de faillir. La performance, celle qui par le trac escompté lui vaut d’être sur scène, est de provoquer le rire non par la chute (ainsi que le pensait Bergson) ou l’accident de parcours mais par leur éventualité. Par leur improbabilité même. 

L’humour de Boivin ne résulte ni de la noirceur, ni de l’aigreur ; ni de la violence, ni de l’agressivité ; ni du bon mot, ni du mauvais geste. Il vient de son talent, de ses glissandi, voltes et virevoltes. Il sait toutes les danses, tout le théâtre visuel, toutes les pantomimes. Comme un Marceau, comme un Chaplin. Par la force des choses, Boivin s’est fait à son personnage, qui est comique naturellement ou presque, parce que, depuis toujours, dansant. Tout ce movie, ce cinéma, ce mouvement obéit non seulement au décentrement, au décalage en vogue dans les années 80, mais au dédoublement. Celui du son et de l’image, l’un pouvant être contredit par l’autre ; du récit et de l’impromptu, l’un étant renforcé par l’autre ; de l’épique et du dramatique, catégories pouvant se fondre dans le tragicomique. À cet égard, le ton change en deuxième partie de soirée, passant de l’anecdote rigolote à l’intime, du numéro virtuose sur La Bohème aznavourienne au chant wagnérien dramatique. 

Les mots sont toujours justes dans ce monologue, du début à la fin. On n’a jamais l’impression de mensonge ou d’exagération. Par exemple, lorsque sa voix off dit : « quand je danse sur scène, je n’ai pas d’âge ». L’expression « danser sa vie », attribuée à Isadora, ne suffirait pas à caractériser la série de variations l’illustrant par l’exemplaire. C’est une chose de danser, une autre de poser un regard rétrospectif sur sa vie en la dansant.

Nicolas Villodre

Vu le 3 mai 2022 à la Maison des Métallos, Paris

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