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Pôle-Sud 2022 : L’année commence avec elles

De Meytal Blanaru à Maguy Marin, des femmes chorégraphes audacieuses sont à Strasbourg, tout le mois de janvier. 

« Ladies first » à Strasbourg, ça reprend de plus belle ! Après une première édition lançant L’Année commence avec elles en 2020, la deuxième a dû être annulée au grand regret de tou.te.s, et on espère évidemment que le sort de cette année 2022 sera meilleur. La nouvelle mouture, annoncée pour janvier 2022, fait le lien avec 2021 en présentant l’un des spectacles annulés il y a un an. Ce revenant, c’est Graces de Silvia Gribaudi, décapante référence à la sculpture Les trois grâces  d’Antonio Canova qui montre les trois filles de Zeus, dans l’élégance convenu du XVIIIe siècle, symbolisant leur pureté fantasmée, et donc un certain regard, très répandu, sur la femme en général. Gribaudi démonte tout ça dans un éclat de rire qui nous libère des stéréotypes au sujet de la beauté, chez la femme et dans la danse. Ce quatuor, où Gribaudi et trois hommes se partagent les idées de la grâce est tout simplement hilarant. 

Mais s’il y a un fil rouge au cœur de ces huit spectacles où les femmes parlent de leur condition et de leurs engagements, ce serait sans doute le fait qu’il y a ici comme une série de solos qui retracent des parcours, des doutes, des questionnements, des combats et volontés de résilience… Ce sont souvent des premiers solos, et on pourrait parler de solos de signature, souvent autobiographiques. Solos dont les autrices-interprètes se nomment Nach (en vérité Anne-Marie Van), Sarah Cerneaux, Meytal Blanaru, Wanjiru Kamuyu et Anna-Marija Adomaityte. 

On a beaucoup parlé de Nach et de ses créations à plusieurs interprètes, depuis qu’elle s’est lancée – avec grand succès – avec son solo qui l’a propulsée de façon étonnante. Et il sera très éclairant de revenir à Cellule, cette autofiction chorégraphique et théâtrale où la krumpeuse se définit comme danseuse, et la danseuse comme femme [lire notre critique].

« J’ai besoin de me retrouver face à moi-même », dit de façon toute aussi lucide Sarah Cerneaux. L’ancienne interprète d’Abou Lagraa et Akram Khan signe son premier solo, Either Way, ce qui signifie que plusieurs chemins et façons d’être sont possibles. Cette pièce parle « d’errance, de la perte de soi et d’aller plus loin », explique-t-elle. Ce n’est pas du krump, mais tout de même une recherche de ce qui bouillonne à l’intérieur. Errance et transformation… 

Le solo Rain de Meytal Blanaru témoigne d’un parcours intérieur particulièrement difficile et intime, d’un désir d’avancer et de retrouver la sérénité, quand la féminité a subi des violences physiques et psychiques créant un traumatisme. C’est la danse elle-même que Blanaru transforme de manière poignante [lire notre interview]. 

An Immigrant’s Story de Wanjiru Kamuyu était à l’origine un solo, créé à La Manufacture CDCN à Bordeaux. C’est devenu un duo où Nelly Celerine dialogue avec l’autrice-interprète à travers la danse et la langue des signes (LSF). Kamuyu y témoigne de son parcours de vie qui l’a amenée à vivre au Kenya, aux Etats-Unis et en Europe, de la perception de l’étranger et de la recherche de soi, de la construction de l’identité qui met à contribution la langue, et tout ce qui appartient à une culture, au sens large. Où l’histoire personnelle est aussi celle des civilisations. Cette quête se reflète ici dans une langue qui est, partout, en situation de minorité. 

Anna-Marija Adomaityte est tout autant une migrante. Née en Lithuanie, elle s’installe en Suisse et y étudie la danse. Mais sa workpiece est différente en ce qu’elle ne se tourne pas vers l’intime mais interroge le corps au travail en croisant la danse et l’étude sociologique. Mais comme chez Kamuyu, des témoignages authentiques permettent d’aborder le monde en changeant de point de vue. Et la question de l’effet du travail sur le corps et l‘outil qu’il constitue est bien sûr une interrogation quotidienne dans la danse. Mais pour des femmes ouvrières, la productivité est un impératif qui semble pousser à la perte de soi. Qu’en est-il ? 

Le sujet ne peut qu’intéresser une certaine Maguy Marin, qui ouvre l’année, et en particulier celle qui « commence avec elles » en nous invitant à Y aller voir de plus près. Pour mieux comprendre les mécanismes politiques de la guerre, celle qui est faite par la gent masculine, telle que l’historien Thucydide la décrit de façon lucide dans son Histoire de la Guerre du Péloponnèse. En deux millénaires, l’humanité a-t-elle vraiment avancé ? 

Et quand la guerre est menée par des femmes, est-elle moins cynique ? Les Guérillères de Marta Izquierdo Muñoz la mènent en effet sur un mode plus poétique, métaphorique, parodique, grotesque... C’est aussi l‘image stéréotype de la femme qui est ici combattue, l’épée à la main. Les trois guérillères – dont un homme ! – portent les masques de la tragédie antique, mais leurs rites sont aussi inspirés de la vie d’une communauté de guerrières que la chorégraphe a rencontrée en Colombie. A Pôle-Sud, c’est certain, le mois de janvier combat l’ennui sur tous les fronts. 

Thomas Hahn

L’Année commence avec elles, du 11 au 28 janvier 2022 - Pôle-Sud CDCN – Strasbourg

En raison de la situation sanitaire, certains spectacles et évènements sont reportés en mai au festival EXTRADANSE  :

May B - Film de David Mambouch & chorégraphie de Maguy Marin
Either way - Sarah Cerneaux / Cie. La Face B
Rain - Meytal Blanaru
Guérillères - Marta Izquierdo Muñoz / [Lodudo] Producción
Workpiece - Anna-Marija Adomayti

Toutes les informations sur Pole Sud CDCN

Image de preview : An Immigrant’s Story de Wanjiru Kamuyu © Pierre Planchenault

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