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« Migrare » de Maduixa et « Karavane en scènes » médusent Arcachon

Escales chorégraphiques et Théâtre de la Mer : Au festival Cadences, rien n’est comme ailleurs. 

C’est à Arcachon que ça se passe… Par exemple, les escales chorégraphiques. Les fameuses... On prend le bateau, on traverse le Bassin, on passe entre les arsenaux des ostréiculteurs, et voilà le spectacle. Ce jour-là il est midi et on attend Maduixa, les Espagnoles, sur la place carrée face à la petite église de Lège-Cap-Ferret, prisée par les pipol pour se marier. On est dimanche et pour lancer le spectacle il faut attendre la fin de la messe, patienter jusqu’à ce que le groupe de fidèles se disperse pour s’adonner à sa restauration dominicale. Pas de soucis. On comprend que personne, après le sermon, n’a envie de tomber sur ces images-là : un groupe d’amazones qui manipule ses échasses à la manière de bazookas, avant de les chausser pour mieux tomber sur le bitume. Se relever, retomber, lutter pour avancer, esquisser une prière furtive, à genoux. 

Le miracle de Maduixa 

Les deux groupes avaient donc du mal à se mélanger. Nous, on avait écouté leur chant sans sourciller. Mais il est vrai qu’à leur tour, les fidèles auraient pu prendre l’étrange cérémonie pour un acte d’exorcisme sans comprendre que ce spectacle parle de migration, de souffrance, de combativité, d’épuisement et aussi d’espérance. Un grand cru que ce Migrare de Maduixa, échassières anarcho-féministes qui prirent d’assaut le centre de Cap-Ferret, entre le monde du travail des locaux et les villas de luxe des autres, face à l’eau et entourées par le public saluant l’entrée de quatre femmes vêtues de tutus faits de haillons paramilitaires. Quatre femmes comme échouées après un long périple qu’elles rejoueraient pour leur comité d’accueil qui représente la cité censée de les prendre en charge. 

Et s’il ne correspond pas à ce que les fidèles souhaitent voir en sortant de la messe, ce spectacle tient tout de même du miracle. Car l’idée même de représenter les peines des migrantes ou l’ardeur des guerrières ouvre les portes vers un kitsch certain. Mais Migrare  force l’admiration et emporte l’adhésion de tous. Comme par ailleurs les spectacles précédents de Maduixa, surtout quand la compagnie investit la voie publique. 

Galerie photo © Thomas Hahn

La qualité des interprètes, la véracité de la communication entre elles comme avec le public, leur technique gestuelle et échassière font de Migrare un spectacle riche, complexe et bien sûr absolument singulier. Si Mulïer parlait [Lire notre critique] spécifiquement de la condition féminine, Migrare renvoie à un drame qui frappe hommes et femmes, mais l’aborde depuis une sensibilité féminine et un esprit de solidarité. Jusqu’à laisser les migrantes-combattantes dans un état d’épuisement avancé, face à un public littéralement soufflé. 

Le « Prince des aristocrates »

Après quoi on retourne au fief du festival, où les après-midis fêtent la danse au Théâtre de la Mer, scène éphémère érigée sur la plage, entre les jetées. Là aussi rien n’est comme ailleurs. Chaque spectacle est introduit par Calixte de Nigremont, l’inénarrable conférencier aristocrate, incarnation de l’élégance comme concept convivial dont il fait cadeau à tous. Tous mondains ! Prêtant aux spectateurs les titres de noblesse les plus farfelus à l’occasion de leur entrée – 500 à chaque représentation au Théâtre de la Mer ! – le « Concepteur de joyeusetés » n’a pas hésité à nommer un trio de spectatrices « délégation de l’Unesco pour classer le Théâtre de la Mer patrimoine mondial de l’humanité ».

L’humour de la vedette (vue à la télé lors du festival du Cirque de Demain ou lors de la finale de la coupe du monde de football à Saint-Denis) fait à son tour partie du patrimoine du festival Cadences. Année après année, on y vient aussi pour lui… 

Sur scène, avec le Bassin d’Arcachon en arrière-plan, on a pu voir d’autres célébrités comme Gandini Juggling et faire des découvertes comme Karavane en scènes, une nouvelle formule créée par Mourad Merzouki, pensée pour cinq interprètes proposant des compositions faites de motifs chorégraphiques tirés du répertoire de Käfig, la compagnie de Merzouki. Le résultat sur le plateau était éblouissant, porté par des danseurs venant de Pôle en scènes. Ceux-là créent leur propre espace-temps, juste par leur présence, et emmènent leur public où ils veulent. Voilà ce qui remet les pendules à l’heure, rappelant que rien, jamais ne remplacera l’être-sur-scène comme art en soi. Sauf que derrière, quelque part, il faut la maîtrise de quelque chose, d’une technique par exemple. Ce qui se déployait à merveille. 

Galerie photo © Thomas Hahn

La pièce était donc réussie, mais y avait-il une pièce ? Titre d’un projet plutôt que d’une œuvre, Karavane en scènes désigne quelque chose de différent, une relation nouvelle entre les interprètes et leur public, puisque personne n’y revendique le statut de chorégraphe. Et pourtant la danse était calée au plus près. Comme le protocole au Théâtre de la Mer, unique en son genre. Vous avez un billet pour le spectacle suivant ? Alors vous pouvez rester. Sinon, merci de sortir sur votre droite pour laisser votre place à ceux qui font la queue côté gauche ! Sous le même vent, entre le plateau et la mer, on peut en même temps s’asseoir dans le sable qui accueille de petits groupes en observateurs backstage. Aussi Cadences reste le festival de danse qui lie comme nul autre exigence artistique et ambiance décontractée.  

Thomas Hahn

Festival Cadences 2022

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