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« Mellizo Doble » d’Israel Galván et Niño de Elche

Un duo au sommet, dadaïste et surréel, où le flamenco rajeunit en prenant un siècle d’âge et de maturité. 

Israel Galván, de plus en surprenant, de plus en plus libre. Par rapport à son art, lui-même et l’idée d’un récital de flamenco. Et puis, qu’est-ce au fond qu’un bailaor sévillan ? Arrive-il forcément en symbole de virilité ? Galván démontre qu’on peut l’envisager autrement. Il orne sa chevelure de fleurs et campe une sorte de Don Quichotte en bailaor de l’absurde sans que l’on sache qui des deux, lui ou le cantaor, est Sancho Panza. Sort parfois, revient soudainement portant d’énormes bottes roses, fait le danseur-automate ou chatouille le sol de ses pieds nus, échangeant le compas contre la douceur d’un frottement. 

Duo collagiste

La petite veine androgyne est apparue dans ses personnages il y a quelque temps déjà, pour se préciser avec le temps. Elle n’a rien d’artificiel, ne doit rien à une idée de mise en scène ou une posture. Le voir après le spectacle, c’est se rendre compte qu’il est authentique. Et libre. Libre d’envisager le récital flamenco en mode collagiste et au second degré. En Niño de Elche il trouve pour cela le camarade idéal qui déconstruit le cante flamenco  – selon le principe et titre de son album Antología del cante flamenco heterodoxo – comme Galván découpe et réassemble les motifs chorégraphiques. En décalé, à la Picasso. 

Et pourtant sa danse ne perd pas un chouia de sa précision ni des sa force de frappe. Mais dans Mellizo Doble, elle monte à la surface quand elle veut, à l’instar du chant, qui peut s’articuler en boucle autour d’un seul son, comme un vinyle rayé. Les deux peuvent aussi sortir de scène et laisser le plateau vide comme jadis Jérôme Bel dans The Show must go on, pour voir le public assurer le spectacle. A l’époque, chez Bel, on sortait les briquets. Le public de Galván n’hésite pas longtemps avant de mettre la main aux palmas et tenir la flamme flamenca allumée. 

Galerie photo © Laurent Philippe

A la pointe, grâce à la tradition

C’est justement dans les silences que résonne toute l’histoire du flamenco dont Galván et Niño de Elche sont les dépositaires, à bon escient. Savoir faire flamenco de tout bois, de tout métal, de tout endroit du corps et de tout habit n’empêche pas d’incarner une tradition pour se situer à la pointe. C’est au contraire la base qui permet à ce duo de collagistes d’ironiser sur la culture flamenca et la tauromachie, sans perdre la trace des racines. Mellizo Doble, c’est le « double jumeau », un paradoxe qui n’a même pas besoin de contradiction. Autrement dit, un paradoxe paradoxal.

Aussi au premier tableau, Niño de Elche tente de se faire entendre, mais le zapateado de son partenaire écrase les paroles. Les mots sont ceux de l’écrivain espagnol Eugenio Noel (1885-1936) qui milita non seulement contre la guerre mais aussi contre la tauromachie… et contre le flamenco ! Et c’est lui qu’on cite dans un spectacle de flamenco ? Voilà tout l’esprit farceur de Galván qui retourne tout comme un gant, à commencer par ses bras et ses jambes.

Galerie photo © Laurent Philippe

Dadaïsme assumé

Eugenio Noel fut par ailleurs proche des anarchistes. Est-ce un hasard si Galván porte ici un tablier en cuir rouge sur son costume noir ? Le dadaïsme assumé de Mellizo Doble  et sa face vocale rappellent par ailleurs un certain Kurt Schwitters (1887-1948), dadaïste et ami de Jean Arp, mais surtout individualiste constructiviste et inventeur sonore (la Ursonate, c’est lui !), qui fonda un courant personnel, nommé Merz-Kunst. 

Le duo Galván-Elche regorge d’allusions à l’époque artistique d’il y a un siècle, comme aussi en chantant et dansant en hommage à La Malena (Magdalena Seda Loreto, 1877-1956), danseuse de la même époque. La danse flamenca est selon Galván un enfant de cette époque à l’industrialisation galopante. D’où quelques brillants jeux d’automate qui ponctuent le spectacle, et autres face-à-face ludiques où le flamenco surgit en onomatopées et en claquant des doigts. Un dernier cante : Viva Sevilla ! . Ce qui est alors aussi sincère et enthousiaste qu’ironique. 

Thomas Hahn

Vu le 1er février 2023, Théâtre de la Ville (Espace Cardin)

Jusqu'au 9 février 2023

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