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Marie Didier, une femme engagée

Depuis 2022, le Festival de Marseille est dirigé par Marie Didier, qui à l’image de la ville, a déployé un festival tout en diversités et en curiosités. Cette femme très engagée sur les questions actuelles nous livre son point de vue sur sa deuxième édition à la tête de cette institution.

DCH : Vous avez réalisé votre premier festival l’an dernier, cette première expérience a-t-elle infléchi votre point de vue, modifié votre programmation pour cette deuxième édition ?

Marie Didier : Oui. Dans le sens où j’ai eu pour la préparer beaucoup plus de temps. J’ai consacré une longue période à rencontrer des artistes de Marseille et de la Région. Ça m’a permis d’identifier de manière plus fine un certain nombre de personnalités artistiques avec lesquelles j’ai eu envie de travailler en 2023. L’autre élément c’est que j’ai vécu l’édition 2022 parmi les spectateurs. Et sentir la présence du public marseillais la jeunesse, la composition très mélangée des salles, fruit du travail de mes prédécesseurs, m’a convaincue de m’appuyer sur cet acquis pour que le festival soit encore plus inclusif et rassembleur. Parce que j’ai vu jusqu’où pouvait aller l’enthousiasme des gens, la curiosité et le capital sympathie du festival de Marseille dans la population. Ça m’a aidée à me sentir assez libre, y compris pour proposer des formes inhabituelles.

DCH : C’est une ville aux mille visages, suivant les quartiers tout diffère, est-ce compliqué de satisfaire toutes ces populations ?

Marie Didier : Il existe une grande mixité. Les visages de la ville, socialement, sont variés, complexes, ça ne se retrouve pas forcément dans les salles, mais au festival il y a un endroit pour toutes sortes de gens, qui ne sont pas amenés à se rencontrer au quotidien, dans leurs pratiques artistiques et culturelles, s’ils en ont. C’est un beau carrefour. C’est stimulant. Mais oui, c’est une ville compliquée.

DCH : Vous avez une politique tarifaire très volontariste, avec des places à cinq ou dix euros. Cela suffit-il à faire venir des personnes aux revenus modestes ? Ou faut-il initier d’autres actions ?

Marie Didier : La question tarifaire, je la dois à mon prédécesseur. Jan Goossens avait pris cette décision assez forte avant de partir et ça participe d’une accessibilité. En tout cas quand il y a une curiosité pour un spectacle, ça aide à franchir le pas, ou à venir en famille, à plusieurs. Ça permet de se lancer sans avoir l’impression de casser la tirelire, induisant des enjeux importants qui impliquent de ne pas être déçus. Donc c’est mettre le spectacle vivant à l’endroit de la curiosité et pour moi c’est très important. Ça joue à la fois pour les publics un peu avertis, pour lesquels ça peut être l’occasion de découvrir de nouvelles propositions ou de sortir davantage, et ça aide aussi les gens qui ont de vrais freins financiers. Mais ce n’est pas suffisant, ça doit s’adosser à une politique d’accessibilité, d’éducation populaire et nous y travaillons toute l’année. 

DCH : Vous parliez, au début de notre entretien, de personnalités à qui vous aviez envie de donner de la place. Lesquelles ?

Marie Didier : Par exemple, en arrivant à Marseille, j’ai rencontré Marina Gomes. C’est une jeune chorégraphe qui vient plutôt des danses de rue, du hip-hop, musicalement du rap, du drill, que je ne connaissais pas du tout. Elle est venue me voir avec un projet qui est une réponse à certaines images véhiculées des quartiers. Elle, a grandi dans le quartier du Mirail à Toulouse, qui est très proche de nos quartiers Nord. J’ai été très sensible aux propos qu’elle tenait, sur le fait que la stigmatisation est délétère car, en abîmant l’image de ces quartiers, on abîme aussi ceux qui y vivent. J’ai aimé son discours citoyen, sa volonté d’ouvrir une sorte d’écrin, de cadre artistique à des élèves de ces quartiers particulièrement des collégien·ne·s et lycéen·ne·s des 3e, 13e, 14e et 15e arrondissements de Marseille accompagné·e·s au long cours par les danseur·se·s de sa compagnie Hylel lors d’ateliers, dans une création qui mêle la danse, la parole. C’est pourquoi Bach Nord trouve sa place dans le festival. C’est un bon exemple, de comment un projet peut se créer en confiance, parce qu’elle parle de Marseille, de la ville et que ces gamins sont tout à fait légitimes d’avoir une ambition, une expression artistique. 

Dans un autre ordre d’idée, je n’aurais pas pensé à me tourner vers Christophe Haleb, qui est implanté depuis longtemps à Marseille, est d’une autre génération et se trouve être très impliqué depuis plusieurs années sur la question de la danse, de l’adolescence, de la jeunesse, de l’image. Il réalise des films absolument merveilleux depuis de nombreuses années. Donc quelqu’un qui se situe dans des esthétiques, une discipline, qui se réfère à l’image. Et là, le rencontrer, voir ce travail d’Éternelle jeunesse, et découvrir à travers ses films, Marseille, prendre la mesure de l’étendue de la ville et de ses difficultés bien sûr, mais aussi du potentiel du festival dans différents quartiers. Donc avec les films de Christophe nous allons être dans des endroits assez différents, des endroits de patrimoine, ouverts, fermés, ça nous a aussi permis d’explorer de manière plus souple qu’avec les spectacles les sites marseillais remarquables.

DCH : Le festival a également une forte ouverture sur l’International. Comment choisissez-vous les spectacles ou les artistes venus d’ailleurs ?

Marie Didier : Le festival a toujours été très ouvert avec des focus géographiques parfois plus marqués sur certains continents ou pays. Personnellement, j’essaie de consolider la présence des artistes méditerranéens à l’intérieur du festival. Avec des artistes qui sont désormais de la diaspora comme Aina Alegre, qui a une grande culture catalane qui se discerne dans son travail, sa démarche, mais aussi le chorégraphe libanais Ali Chahrour, Salma Salem une jeune artiste égyptienne qui vient d’écrire un solo Anchoring, Taoufiq Izzediou qui a un pied au Maroc et l’autre dans la région, Elli Papakonstantinou qui se situe plus du côté du théâtre ou de l’opéra, mais mixe danse, image, jeu, musique pour créer des formes pluridisciplinaires comme Bacchae. C’est une façon de prendre la température de ce qui est vivant sur la rive Sud de notre mer. Ça va rester une question importante pour les années à venir. Et ce qui m’a attirée c’est la question de l’international mais vu sous l’angle de l’altérité. Par exemple pourquoi l’artiste samoan et néo-zélandais Lemi Ponifasio convie une chanteuse-compositrice et une danseuse de flamenco contemporain chiliennes à célébrer la culture mapuche et questionner la réalité de son peuple ?  Donc on est plutôt à entrer par des portes esthétiques et dramaturgiques, mais qui sont aussi des portes pas directement politiques, mais avec des sujets, des histoires, des façons de raconter le monde qui peuvent nous parler parce qu’elles viennent d’un certain endroit, et non parce que nous sommes dans la réitération d’un projet purement formel. Parfois, tout finit par se mondialiser, et par se ressembler et je regarde toujours ce qui peut faire la différence et de quoi ça parle, en lien avec l’appétence de Marseille et sa population pour des récits qui viennent de partout et qui ne sont pas forcément « mainstream ».

DCH : Justement, votre programmation semble très engagée sur les questions actuelles…

Marie Didier : Alors c’est particulièrement vrai pour cette édition, peut-être est-ce un état d’esprit du moment, ça peut varier dans le temps. C’est vrai que la place des femmes dans le spectacle vivant me taraude depuis un moment, comme la place des femmes dans la société, mais je trouve que le spectacle vivant devrait être à l’avant-garde de ces questions, servir de modèle, et ça bouge mais lentement. Là où je me situe, je peux avoir un rôle d’exemplarité, dire que c’est possible, donner les moyens de produire aux femmes, regarder en profondeur quelle place et quels moyens on donne aux artistes femmes, c’est tangible et mesurable. Pour entraîner dans le sillage des jeunes artistes qui peuvent rêver haut et fort. Je pense que les artistes ont besoin de percevoir qu’ils ont un rôle à jouer pour changer le monde. L’art ça ouvre des imaginaires, ce sont des endroits de réflexion et de plaisir et ça passe par des créations, non pas didactiques mais engagées. Je ne sacrifie jamais la forme au fond. Je fais toujours attention, que l’engagement en art soit au service d’une dramaturgie très forte, de vrais choix artistiques et des projets qualitatifs. 

DCH : Au milieu de la programmation spectacle, il y a un projet intitulé Haircuts by Children. De quoi s’agit-il ?

Marie Didier : Le petit salon de coiffure, c’est pour revenir à la question de la jeunesse, de la créativité, de la confiance. A qui on peut donner les ciseaux pour se faire couper les cheveux ? C’est un collectif canadien, qui fait des choses très intéressantes depuis 20 ou 30 ans qui ont construit des protocoles de travail ou d’intervention très aboutis avec des jeunes. Comme des randonnées de nuit menées par des ados. Donc nous avons confié les clefs du salon de coiffure Kenze à des CM1 d’une école du 15e arrondissement, qui fait partie des quartiers Nord. Ils apprennent pendant une semaine le maniement des outils, de la couleur, des gestes et de quelques bases pour laisser libre cours à leur créativité. Proposer des coupes de cheveux à des adultes c’est aussi renverser les rôles. Au départ, ils nous posaient tous la même question : « mais vous êtes sûrs que des gens vont venir ? ». Oui, c’est un joli projet. Et un message. Sur quoi repose la confiance, c’est un choix presque pascalien, presque une croyance, mais c’est ça qui bouge les choses et met les jeunes dans des conditions de réussite et leur permet de construire les choses plutôt qu’avoir peur de les rater.

DCH : C’est la réponse à la pièce Marina Gomes ?

Marie Didier : Oui, ça dit la même chose. Ecoutons les jeunes cinq minutes et laissons-nous coiffer par des gamins.

DCH : Avez-vous des coups de cœur dans cette seconde édition ?

Marie Didier : Je suis assez impatiente de découvrir la création Zona Franca d’Alice Ripoll une grande forme chatoyante. Et puis Benjamin Kahn, avec deux volets de cette trilogie que nous allons présenter à Marseille. A travers ces trois portraits témoignages, il met en avant ce que peut apporter le regard de très jeunes interprètes sur notre monde d’aujourd’hui. Il crée une forme de danse sans complaisance, sans ornementation mais avec beaucoup de subtilité. Je suis très heureuse que nous puissions présenter quasiment tout son travail. Un festival, c’est aussi le lieu de présentation d’un répertoire, quel que soit l’âge du créateur.

DCH : Et Marseille ?

Marie Didier : Comme toutes les grandes villes, c’est un paysage urbain riche et danse, une ville vieille de centaines de siècles, ça se respire, ça s’écoute, ça se vit. C’est une ville unique pour cette énergie et ce multiculturalisme. Travailler un festival de danse dans une ville comme Marseille ça me passionne et ça me donne un grand sentiment de liberté. Tout semble possible. C’est une ville enracinée dans des milliers d’histoires, de peuples, et Marseille bruisse de tout ça.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival de Marseille du17 juin au 9 juillet 2023

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