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Festival de Marseille : La première édition signée Marie Didier

La nouvelle directrice du festival marseillais met en avant les questions du corps et de l’identité. Entretien.

Danser Canal Historique :  Marie Didier, si en 2017 vous vous étiez prêtée au fameux exercice de se projeter dans l’avenir sur cinq ans, vous n’auriez sans doute pas prévu de vous trouver aujourd’hui à Marseille. En plus, et on le sait bien, cette ville n’est pas comme les autres. Comment avez-vous approché la cité phocéenne ? 

Marie Didier : J’ai en fait un lien ancien avec Marseille, puisque c’est la ville où j’ai fait mes études. Je n’ai donc pas de fantasmes sur cette ville. J’en suis repartie et puis j’y suis retournée pour travailler comme administratrice d’une compagnie de théâtre conventionnée. Et j’en suis à nouveau repartie. Cette cité a été le lieu d’une grande partie de ma formation intellectuelle et aussi de ma formation sensible. En y retournant aujourd’hui, j’ai pensé la programmation selon plusieurs envies. Je voulais retrouver de la joie, du désir, et quelque chose de fusionnel entre les gens et les arts.

DCH : A votre avis, qu’est-ce qui a fait la force de votre projet et qu’on vous a confié la direction du festival ? 

Marie Didier : Je pense que j’ai une expérience consistante dans les cultures contemporaines et je pense que j’ai convaincu sur l’ouverture que je pouvais amener au festival sur de nouveaux réseaux, de nouvelles formes et de nouveaux territoires. La question de l’international a été importante dans la sélection parce que c’est un festival qui a une trajectoire internationale et l’a toujours eue. 

DCH : Pour une première programmation, on a souvent peu de temps. Lors de votre candidature, aviez-vous présenté une esquisse de programmation ou plutôt un projet général ? 

Marie Didier : C’était les deux. Une programmation n’était pas demandée. Mais j’ai tout de même amené quelques noms pour annoncer la couleur. Et il est vrai qu’entre l’annonce de ma nomination et l’édition 2022, le timing était un peu court. Il fallait travailler dans une certaine vitesse. En même temps, c’est très bien ainsi. J’ai fait une sorte de photographie instantanée d’un paysage, ici artistique. Surtout en ce moment parce que ça m’a obligée à me débarrasser de toutes les questions qui se posent, après deux années de pandémie, de gérer les reports et reports de reports des projets prévus il y a deux ans. C’est donc un instantané et je pense que ça se sent et qu’il peut y avoir un côté particulièrement jouissif. 

DCH : Quelles sont les attentes des tutelles vis à vis du Festival de Marseille ? 

Marie Didier C’est unanime. Le festival a pour mission d’affirmer une ouverture au monde et à l’altérité, qu’il soit un festival pleinement consacré au multiculturel et que ça se traduise très fortement en termes de création, autant avec des équipes de Marseille qu’avec des compagnies du monde entier. Une question importante concerne la place de la danse comme phénomène social, politique et esthétique, ce qui est plus une question du corps que de création chorégraphique. Le corps, c’est toujours une idée nouvelle et elle charrie de la pensée et amène à une réflexion sur l’état du monde. Ces idées ont toujours fait partie de l’ADN du festival et m’ont amenée à présenter beaucoup de spectacles connectés à des questions de société, des écosystèmes et la transformation de l’individu et de l’économie, l’affirmation des identités sociales, de genre et d’égalité. En même temps, nous ne sommes pas dans le militantisme ou la démonstration, mais dans la nécessité de donner à l’altérité une place spéciale. L’altérité, c’est la diversité des corps, des récits, des expériences, des territoires d’observation. 

DCH : Les spectacles de cette édition se déroulent à la Friche Belle de Mai et autres lieux phares, mais aussi dans des endroits qui ne sont connus que d’un cercle d’initiés ou qui ne sont pas du tout identifiés comme lieux culturels. Comment les avez-vous repérés ? 

Marie Didier Il y a à Marseille un tissu artistique qui rayonne au-delà de la région et même à l’international. J’ai rassemblé toutes mes connaissances, réseaux et circuits que je pouvais activer à Marseille pour construire ma première édition, en essayant d’aller le plus profondément possible dans la ville et investir aussi des lieux cachés. Et il y a des lieux magiques comme le théâtre de verdure dans les quartiers nord, les terrasses de la Cité radieuse et on ira même dans un centre commercial. 

DCH : Quel est votre rapport au corps et à la danse ? 

Marie Didier Je suis passionnée par les propositions plus ou moins transdisciplinaires et très ouverte aux questionnements chorégraphiques, également autour de la question du corps, et des esthétiques dont on peut dire qu’elles débordent. C’est un axe de travail que j’ai développé ces derniers temps dans mes précédentes fonctions. 

DCH : Vous accordez une importance particulière à deux artistes, notamment Kyle Abraham à qui vous donnez une belle place en ouverture de festival. 

Marie Didier Kyle Abraham est une grande figure de la danse newyorkaise avec une belle place en Europe, ces dernières années. Un artiste important, mais qui n’a jamais joué à Marseille. Et dans un festival d’envergure de la deuxième ville de France, il me paraît important que quelqu’un comme Kyle Abraham soit présent, d’autant plus qu’en termes d’écriture il est à la fois dans une expression populaire et dans le postmodernisme américain. Il a un style qui est fait de tous les styles, et c’est vraiment quelque chose d’intéressant. Il a une ouverture de 360° sur le monde de la danse. J’aime beaucoup les artistes qui composent très librement avec un ensemble de matériel qui est à leur disposition. C’est l’avantage de la danse aujourd’hui d’être très ouvert. Et Kyle construit une danse en s’inspirant d’une multitude de récits. 

DCH : L’autre artiste phare est Radouan Mriziga qui vit à Bruxelles, est d’origine marocaine et vient avec deux spectacles. 

Marie Didier Les deux spectacles partent d’une même idée, à savoir comment rendre visible et faire partager la culture des Amazigh, les peuples autochtones de l’Afrique du Nord qui ont construit une culture orale, transmise de génération en génération avec des chants, des danses, l’artisanat, la musique, les récits, les poèmes etc. Ce qui intéresse Mriziga est de voir comment cette culture a pu se transmettre uniquement à l’oral pendant des siècles alors que les Amazighs ont été colonisés. C’est à la fois une plongée dans une culture et un manifeste. Il y a Akal, un solo pour Dorothée Munyaneza, la chorégraphe d’origine rwandaise qui vit aujourd’hui à Marseille. Ce solo est la dernière partie d’une trilogie autour des trois figures de déesses amazighen. Akal est une première française. L’autre pièce est une création, Libya. C’est une pièce de groupe dans laquelle on retrouve Munyaneza. 

DCH : Et justement, de Dorothee Munyaneza vous présentez Mailles, une pièce très symbolique pour la situation de Marseille et les ambitions du festival. 

Marie Didier : Très symbolique aussi de la volonté de réunir sur scène des artistes aux récits et gestuelles d’horizons très, très différents. Symbolique de cette volonté de trouver l’espace pour préserver leurs singularités et en même temps construire un récit partagé. Ça résume très bien l’esprit que je souhaite donner à cette édition où il y a plusieurs équipes marseillaises, et avec laquelle je commence à faire des liens entre Marseille et les grandes cités du pourtour méditerranéen, qui fait une belle partie de la géographie du festival. Tout ça est très important en termes d’identité de ce festival et le public a l’air d’être d’accord avec nous. Nous avons beaucoup de demandes de réservations pour tous les artistes et j’espère que cet élan nous portera jusqu’au bout ! 

Propos recueillis par Thomas Hahn

Festival de Marseille, 27édition
Du 16 juin au 9 juillet 2022

 

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