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Entretien avec Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault

Après la présentation de La Leçon, leur dernière création inspirée de la pièce éponyme d’Eugène Ionesco au festival Cadences d’Arcachon (lire notre critique), Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault font leur rentrée parisienne, mi-octobre, au Théâtre de la Madeleine. À cette occasion, le couple artistique nous a accordé un entretien exclusif, évoqué quelques noms de personnalités et nous ont parlé de leur actualité.

Claude Bessy

Marie-Claude Pietragalla : Claude Bessy m’évoque l’enfance, l’École de danse à l’Opéra, la transmission, l’intelligence d’avoir su moderniser cette école. J’y suis entrée l’année où elle a pris ses fonctions. C’est une figure de la danse importante, incontournable. L’école était encore à Garnier à l’époque.

Patrick Dupond

Marie-Claude Pietragalla : C’est pour moi un grand frère, un partenaire, un grand directeur, un artiste exceptionnel qui a, à sa façon, révolutionné la danse française masculine, qui a été l’ambassadeur de notre école française partout dans le monde. C’est un géant de la danse. Il m’a nommée étoile en 1990, avec une version du Don Quichotte de Rudolf Noureev.

Rudolf Noureev

Marie-Claude Pietragalla : J’en garde un souvenir extraordinaire et très ému maintenant. On parlait des géants de la danse, là on était devant un monstre sacré. C’est quelqu’un qui a su moderniser, qui été un précurseur de la danse, comme d’ailleurs l’a été Béjart à son époque. Mais lui, c’était un grand interprète, un grand chorégraphe qui a pu apporter à l’opéra tout son répertoire classique et qui l’a transposé avec beaucoup d’intelligence et de modernité. Il nous a énormément appris à l’Opéra de Paris. Celui-ci vit encore sur son répertoire. Et je trouverais dommage que l’Opéra se sépare de ce répertoire qui est la mémoire vive de la compagnie. Nous avons eu de grands chorégraphes, comme Pierre Lacotte, comme Serge Lifar mais il est vrai que Rudolf Noureev, qui n’est resté que six ans malheureusement à l’Opéra, a marqué d’une façon indélébile cette maison. L’Opéra était à l’époque une compagnie des plus brillantes qui soient, regardé dans le monde entier, grâce à ses interprètes, à ses artistes, à ses étoiles dirigées par quelqu’un qui avait une vision de la danse, un souffle, une énergie, un enthousiasme.

Maurice Béjart

Marie-Claude Pietragalla : J’ai vu son spectacle Les Chaises avec Marcia Haydée et John Neumeier qui m’avait bouleversée et interpellée. Je me souviens de John qui, tout en parlant, se mettait à courir, à pleurer en courant, puis à rire. C’était incroyable. Et Marcia, avec ses programmes, qui passait à travers ces chaises vides… Béjart, pour moi, a été une source d’inspiration. Il forçait l’admiration. Il savait travailler pour ses interprètes, les mettait en lumière, travaillait sur l’humain. C’était un créateur de génie qui s’intéressait à toutes les cultures, était connecté au monde, ouvert sur le monde. J’ai vu Les Chaises à Bruxelles.

Julien Derouault

Marie-Claude Pietragalla : Julien Derouault est avec moi, il vous écoute…

Julien Derouault : Nous nous sommes rencontrés à Marseille quand Pietra a pris la direction du Ballet national. J’étais danseur à Marseille sous Roland Petit. Je venais d’arriver. Avec Pietra, nous avons immédiatement dansé ensemble. Elle avait ouvert le Ballet de Marseille aux écritures contemporaines, ce qui n’existait pas avant et qui m’allait bien en tant qu’interprète, parce que c’était là où je me sentais le plus à l’aise. Nous avons tout de suite dansé ensemble avec des chorégraphes invités. Pietra a fabriqué des chorégraphies avec moi. Nous avons tout de suite été en relation et nous sommes immédiatement trouvés. Nous avons cherché ensemble et collaboré. C’est venu de cette période. En 2004, cela va faire dix-huit ans cette année, nous avons créé la compagnie. Cela a été une aventure de monter notre propre espace de création personnelle. Et où nous pouvions nous concentrer sur notre travail avec des danseurs de styles différents. Déjà, nous étions très intéressés par tout ce qui était hybridation, par le fait de travailler avec des artistes de cultures chorégraphiques différentes, également avec des comédiens, avec des musiciens. Et d’inventer notre propre univers. J’avais la double formation : contemporain et classique. Être en permanence dans une seule esthétique me posait problème. Pietra à Marseille symbolisait aussi cette ouverture-là. Les chorégraphes étaient très différents, qui allaient de Claude Brumachon à Forsythe, en passant par Carlson, Kylian ou Balanchine. C’est très enrichissant pour un interprète de se remettre en question et de ne pas rester dans sa zone de confort et dans un seul savoir-faire.

Eugène Ionesco

Julien Derouault : Pour La Leçon, Pietra est metteur en scène et chorégraphe. La danse, le jeu et le texte représentent un gros boulot pour les interprètes, donc pour moi. Du coup, c’est bien d’avoir aussi cet œil extérieur qui nous rassure, qui nous dirige. C’est l’avantage que nous avons de travailler tous les deux. En général, quand l’un est devant la caméra, l’autre est derrière ! D’une certaine manière, c’est ce qui nous permet d’évoluer et de faire progresser cette technique. Le fait de danser en jouant est une technique que nous sommes un peu les seuls à avoir. Je pense qu’elle va faire des petits : la jeune génération est très intéressée par tout ce qui est danse-théâtre. C’est un courant qui va se développer. Nous sommes très heureux d’avoir contribué à créer cet univers-là. Ce qui n’était pas facile au départ parce que les gens aiment bien lorsque vous rentrez dans une case. Nous ne voulons surtout pas rester dans la case dans laquelle on a envie de nous mettre !

Marie-Claude Pietragalla : Dans La Leçon, comme dans La Femme qui danse, avec des danseurs-acteurs ou des acteurs-danseurs, tout est imbriqué. Bien que la danse se suffise à elle-même et qu’un geste, parfois, vaille plusieurs mots, le fait de s’exprimer par la voix permet au corps, dans une deuxième lecture, de révéler l’inconscient des personnages. C’est ça qui est intéressant dans le fait de confronter le verbe au geste.

Julien Derouault : Dans ses pièces, Ionesco montre que les idéologies sont là pour masquer des intentions bien moins nobles qu’il n’y paraît. On s’aperçoit que La Leçon est aujourd’hui d’actualité. Qu’un univers décalé, insolite, qui apparaît comme transfiguré du monde réel, en fait, parle de nous, de notre société, des hommes.

À l’issue de l’entretien, Marie-Claude Pietragalla a bien voulu répondre à l’autre actualité qu’est sa candidature à la direction de la danse de l’Opéra national de Paris.

Marie-Claude Pietragalla : Je connais bien cette maison. J’ai ma réflexion aussi sur ce qu’elle pourrait devenir. Après, la décision n’est pas de mon fait. Nous sommes maintenant dans une autre époque, avec une autre génération talentueuse, des artistes très intéressants qui ont peut-être des envies, des  souhaits, des rêves différents de ceux de la nôtre. Qu’il faut savoir être à l’écoute et avoir un cap, un enthousiasme, une vision de la danse. Je vous parlais des grands noms qui m’ont fait vibrer, comme ceux de Maurice, de Rudolf, de Patrick, de Baryshnikov, de Plissetskaïa, de personnalités de la danse qui ont apporté quelque chose. Modestement, j’ai pensé que j’avais, à travers mon expérience et l’hybridation de toutes les techniques de danse, quelque chose à apporter.

Propos recueillis par téléphone par Nicolas Villodre, le 3 octobre 2022.

La Leçon, en alternance, un jour sur l’autre, avec Pietragalla : la femme qui danse, du 14 octobre au 4 décembre 2022, les vendredis, samedis à 19h et dimanches à 14h30.
Théâtre de la Madeleine - Paris

​Image de preview : Pietragalla : la femme qui danse © Caroline de Otéro

 

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