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Entretien avec Hillel Kogan

Avec sa pièce We Love Arabs, Hillel Kogan fait valser les préjugés avec humour. A voir les 18 et 19 au Monfort.

Danser Canal Historique : Comment est née l’idée de cette pièce ?
Hillel Kogan :
Un festival en Israël avait suggéré de créer des pièces de danse ayant pour visée d’intervenir dans la vie quotidienne du spectateur, d’influer sur sa vision du monde. J’avais donc imaginé une réponse ironique et satirique avec cette pièce. En prétendant qu’elle pouvait contribuer au processus de Paix entre juifs et arabes, et combattre le racisme. Mais je n’ai jamais cru que ma danse pouvait changer l’opinion publique. C’était pour moi l’occasion de parler d’art et politique car selon moi il est difficile de construire une signification politique par le mouvement ou la forme.

DCH : Pourquoi avez-vous choisi de mélanger Mozart et Kazem Alsaher dans votre bande-son ?
Hillel Kogan : Je voulais aussi aborder les questions d’identité et de culture à travers la musique. L’idée est que la musique de Kazem Alsaher est un cliché, mais Mozart aussi. On croit que Mozart est « neutre » mais ça montre juste à quel point nous sommes européocentré. Quand on va à la FNAC il y a un rayon world music et de l’autre la musique classique, la « Grande » musique, c’est notre façon de penser. Idem à l’Université, le reste du monde est la banlieue de la culture.

DCH : Existe-t-il un rapport, selon vous, entre le rapport danseur / chorégraphe et israélien arabe / israélien juif ?
Hillel Kogan :
Les deux sont des questions de pouvoir, et, même si on ne parle pas des relations chorégraphe / danseur ou de religion, on perçoit le rapport de pouvoir entre les deux hommes. Le chorégraphe utilise les danseurs comme une « matière », il les manipule, les abuse pour des raisons positives et créatives, même s’il n’est pas violent. À travers cette narration, je peux aussi raconter comment le pouvoir israélien, juif, sioniste manipule l’image de l’Arabe. Ce n’est pas une rencontre entre Juif et Arabe, mais entre deux images. Comment le Juif voit l’Arabe et comment il se perçoit lui-même. De même, dans la rencontre entre chorégraphe et danseur, ce dernier n’est pas considéré comme un artiste sur un pied d’égalité avec l’auteur mais comme un exécutant.

DCH : Selon vous ces rapports entre Juifs et Arabes sont-ils une fatalité ?
Hillel Kogan :
L’Histoire nous dit qu’il y a eu d’excellentes relations entre Juifs et Arabes. Il n’y a pas de fatalité. Ça dépend du contexte politique et social. Aujourd’hui, la tendance est de voir le musulman comme une menace, et ça ne concerne pas que les Juifs… Mais rien, ni dans le Judaïsme, ni dans l’Islam, ne suppose cela. Je suis sûr qu’il doit exister une solution, un compromis pour vivre en paix. Mais la réalité quotidienne, c’est la guerre entre Israël et la Palestine. On vit entre terreur et liberté. Mais au quotidien, il existe de la paix entre êtres humains.

DCH : Dans la pièce vous dites « Ils risquent de penser que tu es le Juif et moi l’Arabe ». Cette ressemblance est-elle selon vous l’un des nœuds du problème israélo-arabe ? Hillel Kogan : C’est une manière de mettre en lumière le thème de l’identité. Qu’est-ce que paraître Juif ? ou Arabe ? La moitié d’Israël vient du Maroc, d’Egypte, de Tunisie… donc il n’y a aucune différence. Ce n’est pas une question de génétique. C’est une manière raciste de penser. En Israël, le point vue commun pense que le Juif est pur, blanc, juste et l’Arabe, violent, mauvais, noir et que c’est une question de nature. En fait, c’est prendre, d’une certaine façon, le même point de vue sur les Juifs que les nazis. Mais la plupart des gens ne font pas la connexion entre cette vision qui suppose que les Juifs sont le peuple élu, donc d’une race plus haute que les autres et le racisme. C’est pour ça qu’il y a une contradiction entre judaïsme et démocratie. Par définition, Israël est un Etat Juif et démocratique. Ce qui crée une contradiction difficile à résoudre. Il n’y a pas de consensus sur ce qui est le plus important des deux. Notre drapeau est juif, pas démocratique, tout comme notre hymne qui parle du retour à la Terre Promise. Les Israéliens arabes ne peuvent pas s’y identifier. On trouve ça à tous les niveaux du quotidien.
En fait, le chorégraphe a besoin de créer une différence entre lui et le danseur, comme le Juif a besoin d’en créer une pour que la définition de l’Etat soit Juif ET démocratique. Le chorégraphe a besoin d’une identité pour mettre une ligne de démarcation entre lui et le danseur, car la danse, elle, est libre. Personne ne peut dire à un autre corps ce qu’il doit être, on peut juste lui dire quels mouvements faire, mais le danseur à la liberté d’interprétation. La danse n’a pas le pouvoir d’autres arts, avec un artiste qui utilise un matériau inerte : un pinceau, un stylo ou des notes. Dès le départ, il doit définir où se situe le pouvoir. Au niveau symbolique, c’est donc bien le même rapport qu’entre Juifs et Arabes en Israël.

DCH : Peut-on échapper à une définition de soi-même autre que religieuse en Israël ? Existe-t-il une pression de l’Etat en ce sens ?
Hillel Kogan :
Oui c’est une pression. Sur votre carte d’identité vous êtes obligés de mettre Juif, Chrétien, ou Arabe. Je suis Juif, mais je ne pratique pas, mais il faut que je m’identifie en tant que tel. Bureaucratiquement, on ne peut pas être laïc. C’est une réponse au trauma de l’Holocauste, sous prétexte qu’il n’y a pas eu de distinction entre pratiquants ou non. Donc être Juif est bien une appartenance à une race. C’est ce que les nazis ont dit et Israël le reprend, car sinon, ça ne pourrait pas être le refuge des Juifs du monde entier. Pour eux, il y a une logique. Mais la conséquence est problématique sur la démocratie, notre langage, notre quotidien, notre pensée.

DCH : Comment le vivez-vous au quotidien ?
Hillel Kogan : Pour moi, c’est très simple, je ne sors pas de Tel Aviv, très européenne. Mais j’utilise la question politique pour faire une parodie de la recherche chorégraphique. L’ « Espace » est le sujet le plus « fashion » de la danse contemporaine avec le « Temps ». C’est un champ de discours qui permet à la danse d’être une discipline académique, une philosophie, d’être intellectuelle. Et beaucoup de chorégraphes abusent de ce discours et de cette tendance à perdre de vue le corps et le mouvement. Le côté « artisanal » des choses. C’est devenu un art de mots et d’idées, et plus c’est abstrait, plus c’est difficile de matérialiser les corps, mieux c’est. Dans ma pièce, le chorégraphe est ridicule. Il confond le public et fait en sorte que la danse ne puisse pas se comprendre et apparaisse comme très compliquée.
C’est très important pour moi de manier l’auto-dérision, en tant que Juif, qu’Israélien, et en tant que chorégraphe. Ainsi j’expose les démons qui sont en moi et ça me permet de les exorciser. Je suis conscient du ridicule de la situation. Etre un artiste, c’est ridicule. Vouloir mettre du sens dans un mouvement du ventre ou de la tête, croire que ça peut vouloir signifier quelque chose est grotesque. Ça me fait du bien. Quand je dis que je suis raciste car je crois qu’un Juif ressemble à ceci et un Arabe à cela, ça me permet de prendre conscience du racisme qui est en moi. J’ai appris ça de Woody Allen. On peut rire de choses existentielles, humaines, violentes, déchirantes On rit de la souffrance de l’existence et ça nous permet de penser. Si on reste dans le narratif, dans le souvenir douloureux de l’Holocauste, on reste dans la douleur, dans la nostalgie, on ne peut pas sortir de l’émotion, et il y a moins de possibilité de rencontres. Le fait d’en rire ne dit pas qu’on n’a pas mal mais ça permet d’être plus rationnel.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Au Monfort les 18 et 19 novembre 2016

 

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