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« Andy de Groat, Une Histoire post-moderne »

Une Histoire post-moderne. « Red Notes / Rope Dance Translations / Fan Dance » d'Andy De Groat, dans une réactivation du CCINP – Andy de Groat. A voir les 17 et 18 juin aux  Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis.

Pour accompagner ce printemps d'hommage à la figure d'Andy de Groat, disparu en 2019, la singulière confrérie de compagnons de route du chorégraphe, active dans ce « centre chorégraphique international de nulle part » (CCINP) a composé un programme essentiel. Outre le plaisir immédiat à retrouver une pièce aussi connue que touchante (la Fan Dance), il a la vertu de remettre en lumière, via la reconstitution de Red Notes, l'une des sources d'influence majeure de la danse française, depuis les années 1980 jusqu'à aujourd'hui.

Juste à côté.

Andy de Groat se tient toujours en ordre mais juste à côté, au grand dam de tout ceux qui aiment que l'on soit bien à sa place, et cet art du placement déplacé explique que l'importance de son œuvre soit mésestimée. Pour cette pipelette de Sally Banes dont le livre Terpsichore en baskets reste le témoignage et l'analyse les plus complets et justes du mouvement des « post-moderns new-yorkais », Andy est trop jeune pour être considéré parmi ceux de la Judson. Pour les Français, il est trop lié à Bob Wilson et à Einstein on the beach quand bien même il fut évincé des reprises, ou alors il est tenu pour le chorégraphe de la déstructuration des classiques, ce que lui-même contestait. L'intérêt de ce programme est de remettre quelques vérités au net. Constitué à partir de trois des œuvres américaines du chorégraphe – entendre trois créations d'avant son installation définitive en France, soit 1982 – ce programme témoigne de l'indéniable importance de son œuvre dans le corpus général de la Judson Church.

Pour commencer, Red Notes, une ample pièce (50 minutes) pour dix danseurs sur une musique de Phil Glass et des textes de Gertrude Stein, créé à la Brooklyn Academy of Music en 1977, soit avant le fameux retour au théâtre de Trisha Brown, c'est-à-dire à l'acmé de l'entreprise de contestation constructive de la Judson. Pour conclure, Fan Dance (danse des éventails) créée initialement pour 10 danseurs, est le « tube incontesté de l'œuvre d'Andy de Groat. Mais constitué à partir d'une section de marche de Red Notes l'année suivant la création de cette dernière, c'est donc encore une pièce américaine même si son succès a surtout été européen.

Entre les deux, Rope Dance Translation (1974), succession de soli autour d'une corde flexible, évoquée ici par un film du chorégraphe lui-même et par une reprise toute de modestie et de discrétion par Martin Barré, l’un de ses interprètes et assistant, apparaissant sous l'écran éclairé. Trois pièces américaines qui marquent une période particulièrement féconde : durant ces trois années, Andy de Groat avait créé dix pièces ! Trois pièces qui permettent aussi de mesurer l'impact qu'a pu avoir le chorégraphe sur les artistes français lorsqu'en 1982 il s'installe définitivement de ce côté-ci de l'Atlantique.

Tout a l'air bien en place. Red Notes, plateau dessiné de lignes et de hachures, table dressée de verres et de carafe. Certes une grande vue du mont Fuji en fond. Elle ne trouble guère le lapin blanc sur le plateau – sans doute un cousin des canards de son Swan Lac – qui, après avoir observé le public d'un air placide, s'en va vaquer à ces explorations… Dans le fond passe une très lente procession – une cousine de celle d'Einstein – que conclut une ballerine à arabesque portant un lampadaire à abat-jour. Il y aura des chaussures et des cigarettes et autant d'accidents beaux comme la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre etc… Car évidemment la référence, chez un auteur aussi féru de poésie que l'était Andy de Groat, s'impose. Mais il faut y voir aussi cet esprit aussi désinvolte que pince-sans-rire qu'il instillait et qui constitue l'une de ses influences les plus certaines.

Red Notes, formidable machine de danse construite comme une équation possède la folle rectitude des trajectoires du Dance (1979) de Lucinda Childs et les changements d'orientation dans l'espace et le naturel de Trisha Brown. On y retrouve aussi la conviction très « judsonnienne » que le mouvement de danse naît de chacun et non d'une forme imposée de l'extérieur et que tout le monde peut le porter. Mais, pour être un parfait exemple du genre déroulant une danse toute de déplacements d'une rigueur absolue, cette pièce par tous ces événements divers et incongrus est d'un humour et témoigne d'une liberté d'appropriation du mouvement qui n'appartient qu'à Andy de Groat. Retrouver cette pièce comble une lacune dans la compréhension que l'on peut avoir de la danse française : on y voit ce que l'art de la composition va y trouver, mais encore ce sens du burlesque un peu potache qui fut la marque (souvent négligée dans les chroniques) de l'époque.

Certes Andy de Groat est aussi le chorégraphe des hypnotiques répétitions de mouvements en rond et ses fameux « spinning », courses répétitives et obsessionnelles, voisines de ce Rope Dance Translations qui évoque un derviche tourneur réduit à sa trajectoire. Certes, Andy de Groat rappelle nécessairement cette Fan Dance, mécanique délicate et troublante d'émotion dans ces avancées et reculs, cette vibration de l'espace à chaque ouverture d'éventail, cette collectivité qui se construit sur la musique de Michel Gallasso. Et il était bien de rappeler ces « Andy »-là. Mais Red Notes, constitue l'une des clefs pour comprendre comment la danse française a pu devenir post-moderne. On retrouve – et l'entremise de Viviane Serry et du conservatoire de Nantes est à souligner dans le remontage de ce programme – l'intérêt du chorégraphe pour le mélange de danseurs de tous niveaux et de toute formation, et l'on comprend, à travers sa fantaisie, son jeu avec le texte de Gertrude Stein, sa composition sophistiquée et pourtant offerte en permanence à l'accidentel, avec sa désinvolture savante, comment elle peut constituer un repère pour plusieurs générations. Il était indispensable que cela fut rappelé.

Philippe Verrièle

Vu au Théâtre Graslin / Angers Nantes Opéra, le 7 mai 2022

A voir les 17 et 18 juin à 20h30 à la MC93-Maison de la culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny dans le cadre des  Rencontres chorégraphiques 

 
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