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Volmir Cordeiro : « Parterre »
Le chorégraphe brésiien invente une danse du tumulte et de la transformation qui interroge les rapports de classe via l’histoire de la danse dans une création aux allures de fête.
Avec Parterre, sa dernière création chorégraphique, Volmir Cordeiro poursuit une recherche exigeante et singulière sur les corps relégués, les gestes marginaux et les espaces de résistance. Depuis ses premiers solos jusqu’à cette pièce chorale, l’artiste brésilien interroge la manière dont les corps prennent place dans l’espace social, comment ils s’y inscrivent, s’y heurtent ou s’y réinventent. Le sol, ici, devient terrain de jeu, de lutte et de rassemblement.

Mais le coup de force de Volmir Cordeiro a certainement été de convoquer notre imaginaire historique et vernaculaire, rassemblant en un seul mot « parterre » le technicien de surface et la scène surélevée, inventée par Thomas Francine (1571-1651) et promue par Louis XIV, créant de fait cet espace « réservé au peuple » qui accède ainsi aux représentations destinées à la noblesse.
Un « parterre » paradoxal donc, celui du peuple debout, bruyant, réactif, mais aussi un sol commun où les différences s’expriment, se frottent et se transforment. Un « noble » devenu « ignoble » au sens littéral du terme comme en témoignent la matière même des superbes costumes, signés Rubén Pioline Aronian à partir de matériaux recyclés, prolongeant cette logique de métamorphose, et qui, suspendus en fond de scène, font davantage penser aux « arts ménagers » (éponges, sacs poubelles, gants de vaisselle, wassingues, etc.) qu’à la Belle dance !
Galerie photo : Laurent Philippe
Et pourtant… Volumineux, contraignants, sculpturaux, ils altèrent la gestuelle, provoquent de nouvelles postures, désinhibent les corps. Ils incarnent une tension entre noblesse et pauvreté, entre grandeur et trivialité, et deviennent de véritables partenaires chorégraphiques. Dans leur résistance, ils génèrent une expressivité inattendue, une liberté presque enfantine, une puissance de jeu. Dans la gestuelle se glissent ici et là, des raffinements baroques dans les poignets, les sauts, des torsions dans les hanches, et ces petits pas mesurés à dos de serpillière effectués avec une grâce inédite par Volmir Cordeiro, coiffé d’une crête aussi punk que Grand Siècle.
Parterre s’ancre ainsi dans une réflexion sur les rapports de classe, sur les hiérarchies invisibles qui déterminent nos manières d’être et de bouger.
Galerie photo : Laurent Philippe
Cordeiro, lui-même transfuge de classe, explore cette tension à travers des figures sociales incarnées par les interprètes : gestes de glissement et de vitesse, physicalité viscérale, expressivité débordante, rituel domestique… Chaque interprète commence par se présenter en solo, devenant une « entrée » comme dans les ballets du XVIIe siècle, distinguant une personnalité singulière dans le collectif, une manière de faire résonner des réalités sociales à travers la danse. Le processus de création, nourri d’improvisations, d’écritures et de recompositions, donne naissance à une chorégraphie fragmentée où les motifs se croisent, se heurtent et s’agrègent, dessinant les contours d’une communauté en devenir.
Galerie photo : Laurent Philippe
Le carnaval, omniprésent dans l’imaginaire de Cordeiro, vient percuter la pièce d’une énergie festive et conflictuelle. Il incarne la suspension des normes, l’excès, la permissivité, mais aussi la possibilité de se réinventer collectivement. Aux marches martiales, s’adjoignent quelques déhanchés de samba, aux parcours géométriques sur du Vivaldi, succèdent des désarticulations improbables de corps marionnettes et dégingandés.
Galerie photo : Laurent Philippe
Cette dimension traverse aussi le travail sonore, conçu avec Loup Gangloff comme « un flux de tumulte et de désir ». À partir de musiques choisies par les interprètes, transformées ou conservées, le compositeur élabore une matière sonore percussive et industrielle qui accompagne la transmutation des corps, intensifie les atmosphères et invite le public à entrer dans l’expérience.
Galerie photo : Laurent Philippe
Parterre est ainsi traversé par une dialectique féconde entre singularité et communauté, entre hiérarchie et désir d’égalité. La chorégraphie du regard, les géométries sociales, les états de débordement et de ferveur composent cet espace où le vivre-ensemble se rejoue dans la friction, le plaisir et le conflit. Pour Volmir Cordeiro, la danse est politique non par le discours, mais par l’expérience qu’elle propose : elle redonne de la puissance aux corps fragiles, et ouvre des interstices de liberté.
Agnès Izrine
Le 1er octobre 2025, La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne, dans le cadre d’Excentriques.
Distribution :
chorégraphie : Volmir Cordeiro
interprétation : Élie Autin, Marius Barthaux, Volmir Cordeiro, Lucia García Pulles, Cassandre Moun
scénographie : Hervé Cherblanc
création lumière : Eric Wurtz
création son : Loup Gangloff
création costumes : Rubén Pioline Aronian - couturière : Coco Blanvillain |
En tournée :
Le 28 mars 2026, Le Dancing CDCN, Dijon
Les 28 et 29 avril 2026, CDN de Tours, avec le CCN de Tours
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