Signe du destin ou fait du hasard? En tout cas, rarement une affiche aura autant tenu ses promesses : celle qui annonçait le « Noureev & friends » placardée sur d'innombrables murs du métro parisien, montrait une danseuse dans un grand jeté. Une fille, donc. Pas un danseur, pas un portrait de Noureev, mais une danseuse. Or, ce sont justement elles, qui ont dominé la scène, dans ce gala d'Hommage à Noureev, donné pendant deux soirées au Palais des Congrès de Paris..
Introduction au gala 'Noureev & Friends' par Maia Makhateli et Remi Wörtmeyer, danseurs étoile au Het Nationale Ballet, Amsterdam, avec un extrait de Two Pieces for Het quis era au programme du gala.
Parce qu'il est mort il y a vingt ans, le 6 janvier 1993, Rudolf Noureev fait l'objet cette année de nombreux hommages à travers le monde. A Paris, le gala donné au Palais Garnier le 6 mars dernier, était exclusivement tourné vers son travail à l'Opéra et ses services rendus à Petipa.
Cet hommage-ci, parrainé par la Fondation Noureev, et orchestré par Charles Jude, étoile de l'Opéra de Paris qui fut un proche de Noureev et David Makhateli , danseur géorgien ayant fait carrière au Royal Ballet de Londres, avait une dimension beaucoup plus cosmopolite, à l'image de ce que fut la destinée voyageuse de Noureev. Reprenant l'appellation « Noureev & friends » qu'a utilisée Noureev pendant presque vingt ans , de 1974 à 1991, pour ses innombrables soirées de gala à travers le monde, Jude et Makhateli ont invité celles et ceux qui comptent dans le monde du ballet d'aujourd'hui à lui rendre hommage, avec une thématique précise. Car en filigrane, on percevait bien, à travers les oeuvres et les interprètes choisis, une cartographie précise - bien que non exhaustive - des villes, des compagnies, des styles, des étapes qui ont jalonné la vie de Noureev.
Sur scène se sont donc succédé des danseurs du Mariinsky, du Bolchoï, du Royal Ballet, de l' English National Ballet, de l'Opéra de Paris, du Ballet National de Hollande où Noureev fît ses premiers pas d'interprète contemporain, autant de compagnies avec qui Noureev a beaucoup dansé ou qu'il a cotoyées.
La génération d'aujourd'hui, tout juste née lorsqu'il est mort, a repris des rôles marquants dans la carrière de la star tatare: La bayadère, la Belle au bois dormant, le Lac des Cygnes, le Corsaire, Raymonda, mais aussi La Sylphide de Bournonville, le Manon de Mac Millan ou le Marguerite et Armand crée par Ashton pour Fonteyn et Noureev. Parmi le répertoire plus contemporain, on a pu revoir l'admirable Petite mort de Kylian, chorégraphe que Noureev avait fait venir à l'Opéra de Paris et joliment dansé par le Ballet de Bordeaux, ou les très belles Two pieces for Het (crée en 1997), qui venaient nous rappeler que le hollandais Hans Van Manen , trop peu dansé en France, fut l'un des premiers chorégraphes contemporains à s'intéresser à Noureev.
Des danseurs à l'affiche, on aura donc surtout repéré les danseuses. Notamment Iana Salenko (Ballet de Berlin), délicieuse Sylphide toute en finesse , Daria Vasnetsova, surprenant cygne blanc avec des bras interminables « made in Mariinsky », et surtout Evgenia Obraztsova, petite blonde discrètement douée, que le Bolchoï vient de débaucher du Mariinsky. Elle a montré toute sa précision technique dans La bayadère et son aura dans La Belle au bois dormant . On la reverra dans La Sylphide en invitée à l'Opéra de Paris en juin (24 et 26 juin), car Pierre Lacotte ne jure plus que par elle.
Et l'on ne saurait oublier l'une des rarissimes apparitions de Tamara Rojo à Paris.
La star espagnole de l'English National Ballet, dont elle est désormais la directrice, illustrait ici la période anglaise de Noureev avec deux pas de deux majeurs : celui de la chambre dans le Manon de Mac Millan, et surtout un extrait de Marguerite et Armand, dans lequel elle crée un troublant effet de réminiscence avec Margot Fonteyn.
"Dans les Coulisses" avec l'étoile du English National Ballet de Londres Vadim Muntagirov.
Et les danseurs, dans cette suite de pas de deux? On eut la confirmation que Mathias Heymann faisait un retour exemplaire avec le solo tourmenté de Manfred, ballet oublié de Noureev, qui mériterait une plus amble résurrection, quoi qu'on dise. Et l'on s'impatientait de découvrir un nouveau Noureev, lorsqu'il arriva, en toute fin de programme. Soudain, un esclave à aigrette accourut sur scène, s'agenouilla lentement de dos, et attendit sa bien-aimée. Le garçon se releva alors, et l'on vit apparaître un tout jeune homme, encore un peu frêle malgré l'élévation et l'élasticité de ses sauts, mais qui avait pour lui un naturel, et une poésie du haut du corps, qui ne pouvait que rappeler celle de son illustre aîné. Il s'appelle Vadim Muntagirov. Il a été formé à l'école de Perm avant de rejoindre l'Ecole du Royal Ballet de Londres, grâce à une bourse de … la fondation Noureev. Bon sang ne saurait mentir... Il a 23 ans (l'âge de Noureev lorsqu'il fît défection..) est aujourd'hui principal à l'English National Ballet et vient de recevoir un Benois de la danse à Moscou. Il est à suivre.
Enfin, parce qu'on ne saurait lui rendre hommage sans le montrer en train de danser, des images de Noureev ont défilé sur un écran géant. Certaines étaient bien connues, mais d'autres, très rares, ont permis de découvrir notamment un Noureev en jean dansant un jerk jazzy endiablé vraiment inusuel. Pour nous rappeler que de La Belle au bois dormant aux fantaisies télévisuelles, Noureev avait goût à tout, dès lors que la scène lui procurait la joie absolue de la danse. Sans frontière et sans ornière. Et ce gala - qui bénéficiait, chose rare d'un orchestre, le Pasdeloup - venait à point nommé nous le rappeler.
Ariane Dollfus
31 mai et 1er juin 2013 - Palais des Congrès de Paris