Au CCN du Havre Normandie, le festival s’enflamme : Fouad Boussouf amène son Fêu au Phare.
Ce sera incontestablement un point d’orgue. Placée en ouverture de la nouvelle édition de PLEIN PHARE IN (en opposition non au off, mais au out, à savoir un volet dans l’espace public, prévu pour l’été), Fêu, la création 2023 de Fouad Boussouf [lire notre interview] va secouer Le Volcan (c’est là, dans la salle phare de la ville que son Fêu va éclater) et certainement faire des vagues [lire notre critique]. Et pas des moindres. Dix Amazones en feu, poussées par une énergie irrésistible, réussissent la quadrature du cercle en allant de l’avant, toujours plus haut, dans un mouvement (quasiment au sens politique du terme) que rien ne semble pouvoir arrêter. On peut donc courir en cercle sans tourner en rond, et courir en rond pour avancer sans relâche ! Aussi leur lumière est moins celle du phare qui pivote que celle de la statue de la liberté, la torche au vent, toute Fêu, toute flamme.
A cette entrée en matière fracassante, Fouad Boussouf a prévu un prologue, sous forme d’un atelier de danse où « en travaillant autour du cercle, chaque participant·e pourra révéler son propre Fêu ». Et puis, un épilogue, une « Lecture dansée », un croisement entre les mots et le corps. Une nouvelle forme comme Boussouf les aime, une expérimentation ouverte. Qui dansera ? Quel·les « poéte·sses, conteur·euses, lecteur·rices se défieront » ? Et autour de quels textes ? Il laisse brûler le suspense…
Par la suite, les Havrais verront aussi deux autres pièces du nouveau directeur du CCN : Le formidable hommage à Oum Kalthoum [lire notre critique] et puis Yês, le duo de deux danseurs urbains, Yanice Djae et Sébastien Vague, que Boussouf a rencontrés à Vitry-sur-Seine. C’était il y a quinze ans et il ne les avait pas oubliés. Il y a donc une raison profonde et humaine de les retrouver autour de la danse et le human beatbox, cet art buccal très rythmé et musical. Et si l’univers de Boussouf est très présent dans cette édition, c’est en toute logique des choses et carrément une nécessité puisque lui et les Havrais sont encore en train de faire connaissance.
Yës témoigne aussi de la volonté d’amener la danse au-delà de la ville du Havre. Le CCN est celui de la Normandie et Boussouf en tient compte. Il dit Yës à la Normandie et présente le duo à Rouen et à Bernay. Mais aussi le trio Essaimer de Margot Dorléans, amorcé l’année dernière, au cours de la première édition du festival. Cette création qui part de la question à savoir si les êtres et les paysages peuvent faire corps ensemble bénéficie d’un partenariat avec l'Odia Normandie, dans le cadre du dispositif « Tournée territoriale de création » et du soutien de la Réserve Naturelle de l’Estuaire de la Seine (entre autres). L’intention est évidente : faire essaimer la danse sur les terres normandes.
Au-delà de la région, la création Cheb de Filipe Lourenço est certes coproduite par le CCN Le Phare, mais réunit des partenaires dans un éventail de régions. Ici deux danseurs (Kerem Gelebek et Youness Aboulakoul) et deux musiciens (François Caffenne et NURI) vont explorer les liens entre musiques et danses contemporines et traditionnelles, notemment arabo-andalouses. Mais la soirée, au Phare cette fois, se poursuivra par un DJ set de NURI, compositeur et musicien tunisien, et également acteur de la scène afrofuturiste.
Parmi les expérimentations sur la forme, on trouvera aussi la soirée Dinosaure, où même le programme du festival demande : « Conférence, spectacle, objet de curiosité ? Dinosaure est tout cela à la fois. »
En fait, le chorégraphe de cette idée improbable – il se nomme Santiago Codon Gras – rêvait d’être paléontologue, par amour pour le film Jurassic Park. Mais il est devenu chorégraphe. Aussi lance-t-il aux quatre interprètes le challenge de capter l’essentiel de l’état d’esprit des bêtes préhistoriques – et de s’en amuser.
Au Volcan, à l’heure même où ces machines à feu que sont les volcans se remettent à cracher leur lave, de l’Islande à l’Italie, Marco da Silva Ferreira va arriver du Portugal avec l’énergie tribale de Carcass.
Le feu de la jeunesse irradie cette troupe urbaine et festive avec son hymne à la liberté. Et le vêtement y joue un rôle central, comme expression d’une grande soif de vie et d’avenir, en liberté. Et quand on parle de vêtement, on arrive tout droit chez Balkis Moutashar et ses Attitudes habillées. La chorégraphe interroge les effets des vêtements sur nos corps, et avant tout celui de la femme. L’histoire de la mode est une approche de la sociologie au fil des siècles, du corset à la coiffe jusqu’aux tenues de sport comme dans Carcass. Et Moutashar d’installer ces solos au MuMa, le musée d’art moderne du Havre !
Dans ce festival, la danse est une fête, par exemple quand la B-Girl Fiona Pitz arrive en lever de rideau avec la restitution de l'atelier hip-hop mené à l'Université du Havre, avant que Johana Malédon ne présente 40 à 40, où elle transforme en pièce pour quarante interprètes son trio inspiré de l’épisode biblique des quarante jours dans le désert. Et quarante, ça veut ici dire que trente-cinq danseuses de tous âges et tous horizons, vont rejoindre cinq professionnelles.
Si 40 à 40 a lieu au CCN, Fouad Boussouf construit, comme on l’a dit plus haut, son festival dans un esprit de partage. Au lieu de garder toutes les fêtes au Phare ou au Volcan du Havre, il présente donc Sous le poids des plumes de la Cie Pyramid à Saint-Etienne du Rouvray. Un quatuor jouissif, tout en breakdance, mime et théâtre corporel. Pourtant, on nous dit aussi que « ce dont on nous parle ici, c’est le temps qui trace ses marques, tantôt légères, tantôt mélancoliques. »
On pourrait dire la même chose quand, dans Générations – Battle of Portraits, Jean Rochereau, presque octogénaire qui a dansé auprès des plus grands, rencontre Hugues Rondepierre, jeune prodige habitué des battles de breakdance. Tantôt ils parlent d’eux – leur amour de la vie, leur rapport à la mort – tantôt ils dansent, l’un face à l’autre ou ensemble. Et quand le chorégraphe – il s’agit de Fabrice Ramalingom – intervient sur scène, il représente la génération intermédiaire, entre ce qu’il était et ce qu’il deviendra. Une belle réflexion sur la vie…
Cette réflexion continue, mais plutôt à chaud, dans Future Now de Yuval Pick. Où quatre interprètes se remémorent leurs tout premiers émois créatifs, et explorent ce qui reste de ces élans dans leurs corps et dans leurs cœurs. Parce que, comme nous le dit Yuval Pick par ce spectacle fait de danses et de mots, « l’esprit d’enfance est un trésor qui mérite la plus grande attention. » Ce qui est vrai pour l’ensemble de cette édition de PLEIN PHARE IN.
Thomas Hahn
PLEIN PHARE 2 : Du 21 novembre au 6 décembre 2023
Image de preview : Future Now de Yuval Pick © Sébastien Erome