Maguy Marin, l'urgence d'agir sera diffusé sur notre plateforme de danse dimanche 14 novembre de midi à minuit. Nous sommes allés à Lyon rencontrer Maguy Marin et David Mambouch.
Danser Canal Historique : Quelle est la danseuse au tout début du film ?
David Mambouch : Luna.
Maguy Marin : Luna Bloomfield.
DCH : Et la pièce?
Maguy Marin : C’est Babel Babel. C’est une grande fille, vraiment longiligne, une danseuse chilienne.
David Mambouch : C’est un solo. Un très beau solo, quasiment animal.
DCH : Quelles caméras avez-vous utilisées ?
David Mambouch : Moi, j’avais une Sony, un petit peu plus grosse que votre appareil photo compact. Pierre avait une petite Lumix, guère plus encombrante. May B a été tourné avec une grosse caméra, une Black Magic, qui a une crème, un pastel, une douceur que n’a pas la Sony, laquelle a en revanche plus de piqué, plus de nervosité. On a mélangé les images prises par ces différentes caméras.
DCH : Avec peu d’éclairage, mis à part pour May B ?
David Mambouch : Si, tout de même. Pierre Grange a beaucoup amélioré. Il a ajouté des éclairages qu’il modifiait en fonction du plan. Cela a été « éclairé cinéma » sans que cela se voie pour donner l’impression que May B était en éclairage « spectacle ». Il a fallu tricher.
DCH : Vous avez aussi monté le film avec Pierre Grange ?
David Mambouch : Nous avons fait le montage ensemble. Une partie du montage. Nous l’avons commencé ensemble. Pierre s’est chargé des incrustations sur fond vert qui présentent les images de spectacles sur le mur de May B. À un moment donné, il a été pris par le trucage de ces plans et a pensé que nous gagnerions du temps si je terminais seul le premier montage – il faut dire que je cherchais des transitions qui sortent de l’ordinaire.
DCH : Sur quel système avez-vous monté ?
David Mambouch : On a monté sur Resolve, un logiciel qui sert normalement à la colorimétrie, à l’étalonnage, mais qui a aussi des fonctions de montage simples et accessibles. Je montais sur Premiere auparavant et je suis passé à ce logiciel pour ses facilités de travail sur la couleur de l’image.
DCH : Le montage a pris longtemps ?
David Mambouch : Trois-quatre mois. Cela a été long parce que j’ai fait en même temps le montage son – pas le mixage. Et parce qu’il y a énormément d’archives ! Il fallait chercher les documents, les trier, choisir lesquels aller passer en fond, les donner à traiter à Pierre. Quelquefois, le résultat n’était pas celui voulu : on changeait. Le montage s’est fait de manière très intuitive et a demandé plusieurs assemblages différents. Il n’est pas vraiment linéaire.
DCH : Le fond sombre permet de mélanger les formats et les cadres : le 1,33 et le 16/9e...
David Mambouch : Et les différentes matières, certaines vidéos étant très abîmées. Assez vite, compte tenu de la quantité d’archives, il fallait trouver un moyen pour les unifier. D’où cette idée que j’ai eue d’utiliser le mur de May B comme support.
Maguy Marin : Certaines archives sont vraiment anciennes. Dans la première vidéo, qui date de 1981, on dirait des fantômes !
David Mambouch : On la voit peu de temps à l’écran. Il s’agit d’un filage de May B que mon grand-père avait filmé en vidéo. En VHS noir et blanc.
DCH : Votre grand-père était vidéaste ?
David Mambouch : À l’époque, on n’appelait pas cela vidéaste, on disait cinéaste !
Maguy Marin : Il faisait des films. Il était vidéaste parce qu’il a repris la pièce en vidéo, sinon il faisait du cinéma.
DCH : Aujourd’hui, on ne fait plus la distinction. Nous avons vu ça à la Berlinale. Au début des projections, il y a une dizaine d’années, on annonçait « Arriflex présente », puis le carton est devenu « Arriflex et Barco présentent » et ensuite il n’y avait plus que « Barco ». plus de cinéma, à part celui de nostalgiques qui continuent à tourner en 35 mm et qui souvent montent en vidéo ou en numérique. Vous venez du théâtre. Comment êtes-vous passé du théâtre à la réalisation ?
David Mambouch : Je viens du théâtre mais paradoxalement le cinéma a toujours été pour moi mon envie. Mon obsession, même. Depuis mes dix ans ou même avant : déjà très cinéphile, à garder des fiches sur tous les films, à apprendre ce qu’est la réalisation. Je ne peux pas ne pas citer le livre Hitchcock-Truffaut que j’ai lu très jeune, qui m’a en grande partie appris ce qu’est la réalisation d’un film… Les cursus pour faire du cinéma sont assez pointus, plutôt scientifiques – moi, j’étais plutôt un mauvais élève littéraire qu’un bon élève scientifique. J’ai suivi un cours de théâtre, une manière d’aborder un autre aspect du cinéma : le jeu des acteurs. Je me suis totalement pris à ce travail de théâtre grâce, entre autres, à un grand maître polonais, Jerzy Klezyk, qui a été mon professeur pendant un an à l’ENSATT et qui donne des stages, régulièrement, à Ramdam. Au sortir de cette école, j’ai été pris comme membre permanent de la troupe du TNP où je suis resté six ans. J’ai commencé ma carrière comme acteur à Villeurbanne. Pendant ce temps-là, je réalisais des courts métrages. Je tournais des films, à côté, avec des camarades, que je montais le soir après les spectacles. J’ai ainsi fait concrètement ma petite école de cinéma, de réalisation. J’ai fait un film auquel avait déjà collaboré Perre Grange, Nocturnes, adapté d’une pièce de Maguy qui a validé que j’étais capable de faire un film de qualité professionnelle. Il faut dire aussi que les outils avaient changé : au moment où j’ai commencé à tourner dans les années 2000, on avait une Sony DSR-PD 150 ultra pixellisée, puis sont arrivées les Canon et les Sony numériques de nouvelle génération qui ont tout changé pour moi et j’imagine pour énormément de réalisateurs. Grâce aux courts métrages et au film Nocturnes, j’ai pu convaincre Naïa Productions que j’avais les armes techniques.
DCH : Grâce aussi à l’héroïne du film ?
David Mambouch : De toute façon, le film se serait fait. La question était de savoir si j’étais la meilleure personne pour le réaliser. Du point de vue de la compagnie – et du mien –, oui, puisque je pouvais me glisser dans un studio de répétition sans que ça paraisse bizarre à l’équipe. J’ai toujours été, depuis tout petit, une silhouette circulant parmi eux et qui pouvait les filmer. Pierre Grange les avait aussi déjà rencontrés. Il y avait quelque chose de familier : on pouvait avoir la confiance et l’intimité qu’une équipe extérieure n’aurait pas eues. Outre le fait d’être le fils de Maguy, j’avais une connaissance de l’œuvre. D’autant plus que j’avais moi-même dansé May B.
Maguy Marin : Ce sont tous ces courts métrages – et ces longs aussi –, ces essais cinématographiques réalisés avec tes propres moyens, avec ton salaire et avec tes copains qui m’ont convaincue. J’avais envie de faire le film sur May Bet de trouver quelqu’un qui ait les compétences et la sensibilité pour le réaliser, ce qui n’était pas évident. C’est parce qu’il y avait eu tous ces travaux parallèles, amateurs mais faits de manière sérieuse, que je me suis dit que l’on pouvait le tenter.
DCH : Et cela a été réussi. Bravo pour ce film. La pièce May B vient scander l’écoulement et contribue à cette unité dont nous avons parlé. Vous y évoquez aussi votre rencontre avec Beckett. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Maguy Marin : Je ne peux pas en dire beaucoup plus. Je ne peux pas vraiment dire que je l’ai connu. J’ai eu un rendez-vous avec lui qui a duré peut-être une heure au PLM Saint-Jacques. Je lui avais envoyé mon petit dossier et puis j’ai reçu une réponse, incroyable, qui me proposait un rendez-vous avec Samuel Beckett tel jour à telle heure à l’hôtel PLM. Je suis arrivée très en avance, évidemment, pour ne pas le rater. Je l’ai reconnu tout de suite, dès son arrivée. J’ai attendu qu’il soit assis et suis allée le voir. Cela a été un moment très fort. À l’époque, je n’ai même pas réalisé. C’est après coup, en fait, que je me suis rendu compte de mon privilège. Parce qu’il ne l’accordait pas à tout le monde, ce privilège. D’autant que j’étais inconnue au bataillon. Je pense que ce moment a duré une petite heure. Avec beaucoup de silences aussi. Beckett m’a tout de même encouragée dans mon projet. Je pense que le fait que je vienne de la danse l’a vraiment intéressé. Parce qu’en général c’était des gens de théâtre qui montaient ses pièces. Moi, j’avais un rapport au corps. J’avais donc fait mon petit dossier. J’y avais décrit comment je pensais faire danser les personnages, les mouvements que je voulais employer qui, généralement, en danse, ne comptent pas, les gestes de danse étant plus expansifs. Il s’agissait de choses plus quotidiennes, de gestes dont on n’est pas toujours conscient. Je voulais travailler là-dessus. Et je pense que ça a dû lui plaire. J’avais prévu une deuxième partie où j’avais fait un compromis : je m’étais dit que s’il n’y avait aucun extrait de dialogue de son œuvre, il ne serait pas d’accord et j’avais choisi des passages de la pièce Fin de partie. Il m’a encouragée à ne pas le faire ! Il m’a dit : Non, non, sentez-vous libre. En m’incitant à ne pas tenir compte de ses textes, il m’a totalement donné carte blanche. Il m’a avoué aussi une chose qui m’a touchée. Il m’a dit qu’il écoutait beaucoup les quatuors de Schubert. Moi, j’avais déjà utilisé La Jeune fille et la mort. J’ai toujours eu avec ce morceau un rapport un peu spécial. Il m’a alors suggéré le premier et le dernier lied– Der Doppelgänger et Der Leiermann. Et ce sont ces lieder qui commencent et ponctuent la pièce.
DCH : il n’a pas vu votre spectacle ?
Maguy Marin : il m’a écrit de sa main tremblotante son adresse pour que je puisse lui envoyer quelque chose. J’ai gardé ce papier. Je n’ai pas osé le déranger parce qu’il m’avait dit qu’il était vieux et qu’il habitait en dehors de Paris. Je lui ai demandé s’il voulait être invité à la première. Il m’a dit qu’il ne le souhaitait pas, mais que je lui écrive si j’avais besoin de quelque chose. Ce que je n’ai pas fait. C’est mon grand regret de ne pas l’avoir embêté !
DCH : il devait aimer la danse parce qu’il était très proche de la fille de Joyce, qui était danseuse.
Maguy Marin : Il m’a dit aussi lors de ce rendez-vous qu’il était juste en train de préparer en Allemagne Quad, sur Nacht und Träume, une pièce avec quatre personnages en robe de bure, sans un seul mot. Avec des rythmes, des jeux de lumière, le silence, le bruit de leurs pas. Et ça, c’est de la chorégraphie !
Nicolas Villodre
Propos recueillis à Lyon, le 7 novembre 2021.
Image de preview : "Maguy Marin, l'urgence d'agir" - Naïa Productions © Laurence Daniere