La compagnie Shonen est venue apporter sa performance fusionnelle entre danseurs adultes et enfants atteints de troubles moteurs.
On l’oublie souvent, mais Le Carreau du Temple est aussi dédié aux sports. C’est pourquoi Eric Minh Cuong Castaing a pu y trouver, au sous-sol, dans la salle de sports appelée Gymnase de la Forêt Noire (mais où sont-ils allés chercher ça ?) un lieu parfaitement adapté à L’Âge d’Or. Le public s’assoit donc autour d’un carré de matelas sportifs sur lesquels quatre danseurs font valser quatre enfants atoniques ou dystoniques. Successivement, tendrement et joyeusement.
Ici tout le monde soutient tout le monde. Les corps des adultes portent et font voler ceux des enfants. Les parents sont là. Ils soutiennent le projet et préparent leurs enfants qui vibrent pour entrer en scène. La tête à l’envers ou « s’envolant » à l’horizontale, parfois manipulés telles des marionnettes de bunraku et donc avec la plus grande délicatesse, les enfants émettent des cris de bonheur.
En bord de piste, leurs camarades qui ne sont pas « en scène » participent intérieurement et sont solidaires. Les danseurs de la compagnie Shonen font pareil. Eux aussi observent leurs camarades et sont prêts à intervenir à tout moment, s’il ne font pas déjà œuvre commune pour soutenir les corps des enfants.
A ce tissage de relations solidaires s’ajoute celle qui lie le spectateur aux sensations qui émanent du contact physique et mental entre les danseurs et les enfants. Les troubles moteurs s’effacent puisque, au cours de cette série de portés improbables, les jeunes patients du Centre Saint-Thys de Marseille réagissent comme tous les enfants du monde. Et ils font partie intégrante de paysages chorégraphiques qui se font et se défont tout au long des quatre tableaux.
Le public, lui, regarde tout ça sans filtre aucun. Pas de mise en scène musicale. Pas d’artifice. La libération de la joie et de l’énergie des enfants se transmettent directement. L’empathie ne s’accompagne d’aucune construction mentale. L’Âge d’Or se traverse comme une expérience à vivre, sur le mode du partage. Ces enfants font ici partie d’un même monde, un monde que les danseurs, adultes ou enfants, et le public construisent ensemble. Et les jeunes se nourrissent des applaudissements comme tout le monde qui salue ses spectateurs. « Depuis que les enfants font cette expérience, ils regardent d’autres personnes en face », confirment les artistes.
Intérieurement, le public partage leurs cris de joie. C’est un retour en enfance. Au passage, les quatre enfants ont aidé les danseurs de la compagnie Shonen à créer un mode chorégraphique nouveau, sans possibilité de lui attribuer le moindre qualificatif du répertoire de styles connus. Entièrement inventé en direction des enfants, différent pour chacun d’entre eux, il est un art de la fusion qui laisse jubiler l’énergie performative de l’instant.
Dans sa sensibilité à fleur de peau, cette danse nous raconte peut-être une histoire de divinités bienveillantes au chevet de leurs créatures, aussi innocentes qu’imparfaites. Un âge d’or, en quelque sorte.
Thomas Hahn
Vu le 20 octobre 2019 au Carreau du Temple, Paris 3e