Normal que la ville (des) Lumière et capitale des Gaules consacre un « temps fort » à la danse dite connectée, qui ne veut pas dire « branchée », ou, pour reprendre le qualificatif utilisé par François Mitterrand face à Yves Mourousi en 1985, « câblée » mais qui, d’une manière ou d’une autre, a à voir avec la « réalité virtuelle ».
Les frères Lumière n’ont pas fait que proposer, en 1895, le cinématographe, c.à.d. un appareil léger et tout simple en apparence, pouvant capter et restituer sur grand écran le mouvement. En 1900, ils ont breveté le Photorama, un système de reproduction complète de l’horizon, un panorama non plus optique, comme celui de la camera obscura ou pictural comme le diorama de Daguerre, mais photographique. Ils ont, dès les années trente, pratiqué le cinéma en 3D, avec un procédé filtrant les fréquences visuelles impliquant le port de lunettes à verres jaune et mauve par le spectateur (l’autre système étant polarisant). En sautant de 1900 à l’an 2000, nous avons pu constater, de visu, les progrès techniques : le passage de la photo au film, de la pellicule à la bande magnétique et de la vidéo au numérique.
Et, heureusement aussi, les trouvailles esthétiques rendues possibles par cette évolution, un siècle durant, dont rendit compte le forum de la danse de Monaco qui, lors des premières éditions, montra à la fois la chorégraphie multimédia de Merce Cunningham, Biped (1999), ponctuée d’images géantes en 3D de traces de danse traitées par les infographistes Shelley Eshkar et Paul Kaiser et les installations en images virtuelles des pionniers marseillais de la vidéo, N+N Corsino, lesquels ont produit cette année une application gratuite pour smartphone, Self Patterns qui prouve que, désormais, la réalité augmentée n’est pas qu’une vue de l’esprit. La capture du mouvement a nécessité 72 caméras-douze caméras filmant à 360°.
C’est depuis Marseille qu’un fameux député se démultiplie, jusqu’à devenir ubique, en discourant sur plusieurs scènes simultanément grâce à un procédé de VR (virtual reality) ayant la couleur de l’hologramme mais n’en étant pas tout à fait – le laser devant être manié avec précaution et ne pouvant pour le moment, à notre connaissance, filmer holographiquement que des objets... inanimés, comme le firent Claudine Eizykman et Guy Fihman dans les années 80 avec leur procédé ciné-holographique.
Revenons à nos moutons et au programme de la Maison de la Danse. Réalité virtuelle, réalité augmentée, motion capture, intelligence artificielle, vidéo mapping… tous ces moyens techniques actuellement à disposition des créateurs seront présentés, littéralement, en long, en large et de travers. En long, puisque les œuvres montrées vont de quelques minutes à la durée d’un spectacle pour de vrai, de chair et d’os, pas seulement spectral.
La « danse connectée », domaine désormais soutenu par le BNP qui, sauf exception (numéridanse), ne sponsorisait jusqu’ici que la danse « vivante », a fait l’objet d’un dansathon à la Biennale de la Danse de 2018, dont votre site préféré rendit compte en son temps. Elle devient, dirait-on, un cycle régulier à la Maison de la Danse, qui permettra, dès cette année, de découvrir la création Acqua alta d’Adrien Mondot et Claire Bardainne, « livre pop-up augmenté » et opus en VR, ainsi que VR_I de Gilles Jobin, qui n’est pas qualifié de spectacle mais d’« expérience sensorielle ».
En plus des débats, conférences, expositions et ateliers détaillés par le site de la Maison de la Danse, le public pourra voir ou revoir les productions primées par le dansathon 2018 : Vibes d’Éric Minh Cuong Castaing, Digital Umbilical de Salomé Bazin et Cloud Dancing d’Aurélien Merceron, Roman Miletitch, Keita R. Joseph, Fiona Houez, Simon Phelep et July Millot.
Nicolas Villodre
Danse connectée du 15 au 21 octobre 2019 à la Maison de la Danse de Lyon.
Image de preview : Adrien Mondot et Claire Bardainne © D.R