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« Une Chambre en Inde » par le Théâtre du Soleil

Ariane Mnouchkine met en scène un théâtre dansé tamoul très peu connu : Le Teru koothu, cousin du Kathakali.  

Fin 2015, la troupe de Théâtre du Soleil est allée séjourner dans l’état indien du Tamil Nadu où elle a assisté à des représentations de Theru koothu (aussi orthographié Terukkuthu ou Theru-k-koothu). Cet art ancien, fait de danse, chant et jeu théâtral, raconte des épisodes  du Mahabharata ou du Ramayana. Données en plein air face à un public rural et populaire, les représentations durent du soir au lever du soleil. En cela mais aussi par les costumes et la gestuelle, il rappelle le Kathakali. Mais ce dernier se prend très au sérieux, alors que le Teru koothu intègre quelques facéties commentant l’actualité de la communauté. Les troupes peuvent donc également se permettre de moquer certains codes esthétiques officiels.

C’est à Puducherry (Pondichéry) que la troupe, secouée par les attentats parisiens de novembre 2015, a trouvé un refuge culturel, artistique et mental. Une Chambre en Inde, spectacle de plus de trois heures mené sur un rythme effréné et très cinématographique, reflète la rencontre avec cet art tamoul, devenu le ferment d’une pièce éclatée où se croisent Tchekhov et le XIXe siècle, Shakespeare et sa tempête, les fonctionnaires culturels français, les propagandistes de Daesh, des singes bondissants, le bruit des manifestations et surtout une troupe de théâtre française. Venue monter un spectacle en Inde, elle est rongée par des doutes élémentaires: A quoi sert l’art si des gens peuvent mourir fusillés à une terrasse de café en plein Paris ? Sur fond tragique, le Théâtre du Soleil s’amuse de lui-même et en Cornélia, devenue metteure en scène malgré elle, Mnouchkine met en scène son alter ego, plein de rêves et de désarrois.

Un soupçon de parodie

Entre costumes somptueux et jeu décalé, les tableaux tamouls d’Une Chambre en Inde brouillent les pistes. Chants et danses dramatiques paraissent toujours un brin trop pathétiques, et on mettrait volontiers ce soupçon de parodie sur le compte du décalage culturel. Quand le Théâtre du Soleil interprète La Mort de Karna et Le Viol de Draupadi, tableaux de la grande épopée guerrière où s’affrontent les frères Kauravas et Pandavas, les costumes de Theru koothu ne cachent en rien la composition multiculturelle de la troupe. Au contraire, ils la soulignent avec ironie, bonheur et fausses moustaches. On peut même avoir l’impression de voir une sorte de version Bollywood du Mahabharata, corps de ballet en moins.

La gestuelle aussi nous parle de cette différence par une distanciation facétieusement mise en exergue, comme dans un retour de Brecht vers des terres d’une Asie imaginaire. Et puis, il y a ce petit rideau qu’on déroule et enroule, pour marquer les fins de saynètes et les changements de personnages. En vérité il s’agit d’une création par les membres de la troupe parisienne, initiée aux danses et aux chants du Teru koothu par le maître Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran, dépositaire et figure historique de son art.

Artiste de cinquième génération, il rappelle que « le Theru koothu reste très ancré dans la vie des communautés car sa dramaturgie est très en phase avec les problématiques propres à un village. Par exemple l’épisode d’adieu entre Karna et sa femme Pounourouvi qui n’existe qu’en Theru koothu met en avant les difficultés d’une femme veuve. » Le lien avec la réalité vécue par les spectateurs est fait par le Katyakkaran, bouffon représentant du peuple, qui parle au public de l’actualité locale, de prévention ou d’éducation. On peut également placer sous ce jour le fait que les questions autour du  statut et de la situation des femmes traversent Une Chambre en Inde tel un autre fil rouge.

Une troupe de Theru koothu :

Une Asie imaginaire

On l’aura compris, le décalage entre l’art tamoul et sa réalisation est tout sauf une maladresse. Du début à la fin, les personnages sont traités sur un mode burlesque, des premiers affolements de Cornélia (Hélène Cinque) au discours final d’un djihadiste malgré lui, se réfugiant dans Charlie Chaplin et son  personnage du grand dictateur. Ce décalage est libérateur, comme il l’était déjà dans Les Naufragés du Fol Espoir. Mais ici sa source pourrait bien se trouver dans le Theru koothu lui-même. Les cauchemars de Cornélia seraient alors les intermèdes citoyens du spectacle de la (fausse) troupe de danse-théâtre tamoule.

Le Theru koothu est un art impur qui le devient ici doublement, en étant interprété par des artistes ni tamouls ni même indiens. Nous sommes alors au cœur d’une longue histoire de croisements entre Ariane Mnouchkine et les cultures d’Asie. Et si le voyage en Inde de toute la troupe du Soleil avec ses plus de soixante-dix personnes n’avait eu que ce seul résultat, à savoir la venue à Paris de ce théâtre populaire dansé et chanté dans une fraternité symbolique, physique et spirituelle, il faudrait déjà leur témoigner une belle dose de reconnaissance et de gratitude. Que le résultat soit en plus un spectacle envolé, turbulent, engagé, lucide et flamboyant - en un mot: splendide - ne gâche rien.

Thomas Hahn

Vu le 2 décembre 2016 au Théâtre du Soleil, Cartoucherie.

www.theatre-du-soleil.fr

 

 

 

 

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