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Thomas Lebrun à Chaillot : « Avant toutes disparitions »

Les Théâtres de la Ville et du Châtelet présentent en ce moment des spectacles de Pina Bausch ? Vous ne trouvez plus de places ? Chaillot propose une alternative parfaitement valable, avec Avant toutes Disparitions de Thomas Lebrun. Le chorégraphe a lui-même imaginé une scénographie qui n’est pas sans rappeler, certes dans des dimensions réduites et épurées, celles de Peter Pabst. Pré vert, pré carré, terrain de jeu des relations humaines.

Un couple. Daniel Larrieu et Odile Azagury interprètent deux personnages de pur théâtre, mûrs et d’une élégance désuète. Leur attitude distinguée peut dater d’avant ou d’après tous ces événements de la vie qui défilent en arrière-plan et qui font qu’on se sépare et se retrouve comme elle et lui, à plusieurs reprises, au cours de la soirée. Au fond, derrière le carré vert, défilent les autres danseurs et évoquent une panoplie d’événements et d’émotions, scènes de fête ou de violence. Avec eux, la vie défile.

Galerie photo © Laurent Philippe

Mais ils viennent aussi planter les arbres du futur ou déposer des fleurs, comme sur une tombe. Et tout le monde danse en cercle, en unisson, en couples. Ils vivent des rencontres ou entendent les tonnerres de la guerre. Avant toutes disparitions met en scène la vie pour mieux dire qu’on y tient, dans sa belle diversité, avec les moments tragiques ou euphorisants qu’elle mélange sans nous ménager. L’espace vert - couleur de l’espoir et du printemps - se situe dans l’instant, moment depuis lequel on regarde l’étendue du temps de la vie et sa fragilité.

Lebrun sur les traces de Bausch et Hoghe

Aussi cette création trouve une voie à mi-chemin entre Raimund Hoghe et Pina Bausch, moins anecdotique et moins humoristique, plus condensée et ramassée que chez la dame de Wuppertal,  dans un dépouillement et une écoute intérieure plus caractéristique de son ancien Dramaturg, mais avec plus  d’intérêt que chez Hoghe pour un langage chorégraphique rythmé. Lebrun, Bausch et Hoghe partagent un même amour du danseur-acteur qui vient sur le plateau dans la force de sa propre histoire et d’un parcours partagé.

Mais toute comparaison a ses limites. Ni Bausch ni Hoghe ne créeraient un tableau aussi schématique d’accouplement frénétique comme ici Lebrun, unique moment de la pièce où le corps impose sa loi et se fait comprendre de façon immédiate et univoque. Paradoxalement, la fièvre crée une baisse de tension dramaturgique. C’est bien amené, et pourtant superflu, mais finalement pardonnable.

Galerie Photo C Laurent Philippe

Autre tache, plus importante cette fois, dans un très beau tableau d’ensemble : Bausch ou Hoghe ne tomberaient pas non plus dans le piège d’une musique  comme celle composée pour la pièce par Scanner, « plasticien sonore » britannique, qui audiblement tente de prendre le dessus sur les danseurs, par des loops qui se bousculent comme les Parisiens dans le métro, à l’heure de pointe. Est-ce pour mieux faire ressentir la clarté des voix, des sentiments et des images évoquées dans Just de David Lang qui suit la composition de Scanner. Si l’intention était de jouer sur les contrastes, c’est réussi.

Tout peut disparaître

On pourrait diviser Avant toutes disparitions en trois parties. La première est celle du couple mondain, debout en son jardin, face à ses souvenirs, ses rêves, ses terreurs. La seconde voit la communauté en danse, en fête et en amour. Et finalement, Thomas Lebrun vient pour compléter un quatuor avec le couple Larrieu/Azagury, promenant cette constellation très bauschienne dans des étendues temporelles à la Hoghe, pour finalement disparaître dans le brouillard qui envahit le plateau.

Galerie photo © Laurent Philippe

« La danse /.../ reste encore un art libre où le sens que l’auteur a souhaité donner à sa pièce n’est pas obligatoirement narré /.../ et cette liberté ne doit pas disparaître » écrit Thomas Lebrun dans la note d’intention de cette pièce qu’il situe sur « un territoire restreint, sauvegardé, rêvé, imaginé », où les personnages se trouvent « face à toutes disparitions possibles ou inévitables, conscientes ou inconscientes : disparitions de leur tranquillité, de leur identité, de leurs convictions, de leurs envies, de leurs droits, de leur passé, de leur présent, de leur futur. »

Il ne reste plus qu’à ajouter cette phrase de Pina Bausch, devenue incontournable: « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus. » C’est danser pour ne pas disparaître ou savoir qu’on disparaîtra, et donc danser d’autant plus pour « être vivants à travers cette danse essentielle à chacun de nous », le « nous » regroupant Lebrun et les artistes chorégraphiques de la pièce, écrite sur mesure pour ses compagnons de route. C’est pourquoi Avant toutes disparitions résonne tel un rappel de ce que la danse n’est pas seulement un endroit de liberté d’expression et de regard, mais aussi un lieu où on se parle, à travers et même avant toutes conversations.

Thomas Hahn

Avant toutes disparitions
De Thomas Lebrun
Avec Odile Azagury, Maxime Camo, Anthony Cazaux, Raphaël Cottin, Anne-Emmanuelle Deroo, Anne-Sophie Lancelin, Daniel Larrieu, Thomas Lebrun, Mathieu Patarozzi, Léa Scher, Yohann Têté, Julien-Henri Vu Van Dung

Théâtre National de Chaillot, du 17 au 20 mai 2016

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