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Soirée Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l’Opéra de Paris

Intitulée Bartok/Beethoven/Schönberg, la soirée nous emporte au cœur de l’univers de la plus musicale des chorégraphes d’aujourd’hui. A voir du 27 avril au 12 mai au Palais Garnier.

Ce programme parcourt dix ans dans la vie d’Anne Teresa De Keersmaeker de 1986 à 1995. C’est au cours de cette décennie, que l’immense chorégraphe flamande a ciselé sa relation avec la composition musicale savante, notamment en travaillant à partir de quatuors pour cordes – et non des moindres – puisqu’il s’agit du Quatuor N° 4 de Bartok, de la Grösse Fugue de Beethoven, et enfin de Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) de Schönberg. Ces trois pièces mettent au jour, chacune à leur manière, la tension entre ordre et chaos, entre romantisme et abstraction, qui donne à ses œuvres une force à nulle autre pareille. L’intensité émotionnelle du récit puise sa source dans la rigueur de son écriture chorégraphique. Ainsi De Keersmaeker s’adresse à la structure pour rendre compte de toutes les nuances de la passion, de l’irrésistible énergie des corps, du vertige de la danse.

Galerie photo Laurent Philippe

Dans le Quatuor N° 4, quatrième pièce d’Anne Teresa De Keersmaeker avec quatre interprètes, on retrouve bien sûr quelques traits de Rosas danst Rosas. Même nombre de filles, (presque) même tenue, même types de mouvements qui mêlent à une danse savante des gestes piochés dans le quotidien (marcher, courir, se passer la main dans les cheveux). Mais contrairement à Rosas danst Rosas, on voit apparaître une forme d’amusement dans la gestuelle de ces toutes jeunes femmes, proches encore de leur enfance et de leurs jeux.  On se souvient même, soudain, que quelques critiques français de l’époque avaient été décontenancés par ces lolitas un peu joueuses, un peu agressives, un peu provocantes.

Galerie photo Laurent Philippe

Godillots, jupes virevoltantes et culottes blanches passent donc maintenant au répertoire de l’Opéra de Paris. Les quatre danseuses (Aurélia Bellet, Camille De Bellefon, Miho Fuji et Claire Gandolfi) ont dû batailler dur pour attraper ce je-ne-sais-quoi éminemment keersmaekerien, de l’ordre d’un jusqu’au boutisme technique allié à un expressionnisme aussi discret qu’efficace. Mais on distingue également autre chose dans ces cercles et ces spirales qui aspirent à une verticalité que le sol retient, c’est le parallèle avec la musique de Bartok, d’une composition extraordinairement complexe, mais qui n’oublie jamais ses racines qui s’ancrent dans la danse populaire, avec ses accents rythmiques bien plantés dans le sol.

Galerie photo Laurent Philippe

Si les danseuses du Ballet de l’Opéra tirent habilement leur épingle du jeu, et virent et voltent aussi bien et vite que leurs homologues de Rosas, c’est dans la lourdeur qu’elles pêchent. Aériennes elles restent, en témoignent les bruits légers de leurs bottines qui ne claquent pas quand elles retombent. Mais, quoiqu’il en soit, on admire cependant le brio avec lequel elles ont su rendre la partition et leur engagment intense de tous les moments. Et comment demander l’incarnation totale d’un style si puissant en quelques semaines de répétitions ?

Filmé par Eric Legay pour Danser Canal Historique

C’est un défaut que l’on ne retrouve pas dans Die Grosse Fuge de Beethoven. Conçue comme une étude sur la masculinité et l’écriture contrapuntique, la pièce enchaîne à grande vitesse des sauts vrillés à l’horizontale dont la conclusion inévitable est la chute parée par la roulade. Pour l’œil du spectateur, cet acquiescement à la gravité semble plutôt son contraire : des corps en apesanteur projetés dans trois dimensions de l’espace et une de temps.

Galerie photo Laurent Philippe

C’est absolument fascinant. D’autant plus que De Keersmaeker suit imperturbablement le schéma de composition de la fugue, faisant passer la phrase chorégraphique d’un corps à un autre, l’enrichissant au passage d’un détail supplémentaire, entrelaçant les motifs et les « voix » (d’où la nécessité de cette unique présence féminine parmi sept hommes), avant que l’ensemble ne se disperse en autant d’éclats que d’interprètes.

Filmé par Eric Legay pour Danser Canal Historique

Enfin, La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg était sans conteste le grand moment de cette soirée. Avec son décor nocturne de forêt de bouleau qui fait irrésistiblement penser à Gustav Klimt (Le Haut-bois) l’histoire « éffrontément romantique » selon Anne Teresa, s’inspire d’un poème de Richard Dehmel, rapportant l’histoire d’une femme qui, dans une forêt, par une nuit éclairée, avoue à l’homme qu’elle aime qu’elle porte l’enfant d’un autre homme.

Filmé par Eric Legay pour Danser Canal Historique

Alice Renavand, qui incarne tout d’abord cette femme (face à Vincent Chaillet) est un chef-d’œuvre d’angoisse intérieure, d’hésitations, de timidités et de force tellurique. À la fois sensuelle mais tout en retenue, frissonnante comme une bête blessée, on est vite happés par le délicat équilibre entre la force des sentiments que distille la danseuse étoile. Bientôt rejointe par d’autres couples, le récit est disséminé en autant de figures de la vie amoureuse.

Galerie photo : Laurent Philippe

Reprenant à son compte les postures stylisées de sculptures de Rodin ou les attitudes entrevues dans un manuel d’accouchement, De Keersmaeker redéfinit des rapports entre l’homme et la femme qui transcendent, transfigurent, littéralement, leurs positions.

Bien que la chorégraphe s’en défie, c’est une œuvre d’une intensité dramatique rare, profondément expressive et sentimentale, peut-être unique, à ce titre, dans le corpus De Keersmaeker.

Galerie photo : Laurent Philippe

Les danseurs de l’Opéra y excellent. Outre Alice Renavand et Vincent Chaillet, Emilie Cozette ou Awa Joannais, et la magnifique Sofia Rosolini pour les femmes, Takeru Coste et Daniel Stokes, s’y distinguent particulièrement.

Galerie photo Laurent Philippe

L’orchestre à cordes dirigé par Vello Pänh fait entendre toutes les nuances de cette partition complexe et romantique. Et ces trois pièces nouvellement entrées au répertoire du Ballet de l'Opéra de Paris constituent une soirée à ne pas manquer.

Agnès Izrine

Vu au Palais Garnier en novembre 2015

Du 27 avril au 12 mai 2018 au Palais Garnier

Attention, les photos et les films ne sont pas issues de la même distribution que celle que nous avons vue.

 

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