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“Shake it out” de Christian Ubl

On aimerait bien les aimer, les drapeaux nationaux. Christian Ubl a quelques idées pour un rapport plus ludique avec nos étendards. Pour commencer, il faut bien les mélanger. Ensuite, en apprécier la diversité et la vivacité des couleurs. S’en draper, aussi. Drapeau vient de drapus.

Ne pas oublier sensualité et frémissements. Grouper les drapeaux au sol, en cercle. S’asseoir autour, dans le plus simple appareil. Construire des châteaux humains et des sculptures animées, un brin animales sur les bords, comme pour renouer avec l’antiquité et les cultes païens qui sous-tendent encore, de façon lointaine, diverses identités culturelles de notre vieille Europe.

Mais avant d’arriver à ce Nirvana post-nationaliste, il faudra bien que les nationalistes mangent leur drapeau. D’où ce prologue très intense où paradent cinq athlètes ou soldats envoyés au combat chorégraphique. Ils rentrent dans le moule pour ressembler de plus en plus à des automates. Pas étonnant si finalement ils pètent un plomb. Grimaçants et grotesques ils montrent ce qui reste de la chair à canons qui a survécu.

Ubl nous fait part de son débat avec son identité de départ, celle des Alpes autrichiennes. Cloches de vaches, culottes de cuir, clochettes aux pieds et petits pas de Schuhplattler témoignent de son conflit identitaire interne, puisque ces références aux traditions folkloriques sont contrecarrées par musiques et danses punk ou techno entre une Marianne française et in Michel allemand. On tombe amoureux et après la guerre, vient le temps de chanter Beethoven, sur fond de drapeau européen. Sur le fond bleu, les étoiles sont distribuées en forme de cœur. On construit une Europe, symboliste et romantique.

On ne peut nier qu’Ubl s’attaque à une question fondamentale du vivre-ensemble entre les nations et de l’identité européenne. Mais le simplisme de la démonstration est déconcertant. Les interprètent s’activent avec ardeur, comme si on pouvait traiter la danse en sous-discipline de l’art militaire, sans reproduire l’ennui qu’on éprouve en regardant la parade bien ordonnée d’un vrai régiment.

Shake it out, comme dans une séance d’exorcisme? Vers la fin, les drapeaux européens d’aujourd’hui se transforment en coiffe de chef de peaux-rouges, sur musique de pow-wow. Le discours est ici aussi léger que celui des politiciens prônant l’unité européenne sur des bases mal assises. C’est un autre regard sur le leadership américain…

On se souvient d’avoir vu, chez Preljocaj et même chez Pierre Rigal, un traitement bien plus fin des drapeaux-symboles, même si l’idée de se voiler la face avec ses draps-là semble s’imposer partout. Mais Suivront 1000 ans de calme de Preljocaj s’appuyait sur une dramaturgie et des symboles civilisationnels bien plus profonds, et Rigal aussi créa dans Standards des conflits plus porteurs et surtout, des interrogations plus complexes.

« Il n’y a pas d’identité européenne fortement ressentie par les citoyens. On ne se présente pas comme Européen, mais en tant qu’Italien, Français, Espagnol… » écrit Ubl dans une note de travail. Pas si sûr. Les identités sont complexes, de vraies millefeuilles. Le caractère réducteur d’un tel postulat de départ est sans doute le problème principal de cette pièce qui ne remue pas vraiment nos idées sur l’Europe. Il faudra secouer, secouer encore, pour que l’Ode à la joie prenne sens pour de vrai. Shake it out!  

Thomas Hahn

 

Le 20 mars 2015, Biennale de danse du Val-de-Marne, Théâtre de Châtillon (oui, la Biennale du Val-de-Marne peut aussi trouver un point de chute en Hauts-de-Seine)

 

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