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« Serpentine » de Daina Ashbee

Daina Ashbee crée « Serpentine » au CDCN du Val-de-Marne. 

La Québécoise aborde une fois de plus les zones intimes et douloureuses de la féminité, par un solo hors norme.

Après avoir impressionné avec Pour aux dernières Rencontres Chorégraphiques [lire notre critique], Daina Ashbee a créé aux Plateaux un nouveau solo : Serpentine.  Et comme Les Plateaux, « journées professionnelles ouvertes au public » organisées par le CDCN La Briqueterie, ne proposent que peu de créations, on a d’autant plus remarqué ce solo de Daina Ashbee, qui adopte une forme particulière.

La danseuse Areli Moran interprète une boucle d’une vingtaine de minutes, à plusieurs reprises qui s’enchaînent directement. Pendant ce temps les spectateurs, installés en bifrontal, entrent et sortent à leur guise.

Si le dispositif peut évoquer un défilé de mode, la performance d’Areli Moran confie à la peau elle-même le rôle du vêtement suprême. Serpentine pourrait bel et bien être le nom de la jeune femme, qui traverse ce podium à même le sol, dans la brillance d’un filet d’huile qui dessine une aire de jeu, un contre-corps tel un miroir.

On sait qu’Ashbee cherche à aller au bout et aux sources des sensations, fussent-elles difficiles à (s’)avouer. Le sol en huile-miroir renvoie à cette nécessaire lucidité. Il nous rappelle Lisbeth Gruwetz, dans le solo que lui composa Jan Fabre, où l’uomo principale se révéla être une femme (Quando l’uomo principale à una donna, 2004). Dans Serpentine, au contraire, toute ambigüité de genre est exclue d’emblée.

Serpentine est une antithèse au défilé de mode, mais aussi à l’atelier de peintre et à son modèle. Chaque position du corps est contrainte, à la limite de la douleur. Et si Ashbee rebondit ici sur ses trois pièces précédentes, on songe également à Marina Abramovic quand Moran frappe son buste contre le sol jusqu’à ce qu’il rougit. Dans la lenteur de sa traversée, le corps prend racine et s’arrache, expose ses plaies et sa fragilité. Mais il pourrait ici dépasser la condition féminine et parler du genre humain, tout simplement.

La musique originale de Jean-François Blouin pour orgue, puissante et déchirée, renforce encore la sensation d’inconfort. Ou bien, celle qu’on devrait éprouver. Car le problème de Serpentine, présenté dans cette configuration performative, réside justement dans la forme, à savoir dans l’exposition totale de l’interprète où le corps n’est ni poétisé ni contextualisé, mais en permanence renvoyé à la situation spectaculaire.

Cette prise de risque est en soi si forte que seul un acte sacrificiel à la Abramovic pourrait justifier une confrontation si directe du spectateur. Par contre, le bifrontal n’empêche pas un travail sur l’espace et les lumières. Certaines photos de Serpentine le prouvent bien. Dans le studio de la Briqueterie, cette dimension fut prise en défaut, et avec elle Serpentine.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 28 septembre 2017 dans le cadre de Les Plateaux, au CDCN La Briqueterie, Vitry-sur-Seine

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