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Rone, (La) Horde et le BNM : « Room with a view »

La première pièce « marseillaise » de (La) Horde met en scène une fête clandestine, un effondrement, une révolte, un envol...

Entre deux tableaux de Room with a view, quatre hommes en combinaison de protection blanche interviennent pour nettoyer le plateau. La scène faisait sourire, un soir où seul les rassemblements de plus de mille personnes étaient interdits. On pouvait donc s’estimer chanceux d’assister à une représentation de Room with a view, juste avant que le seuil ne passe à cent personnes, obligeant le Théâtre du Châtelet à annuler les dernières représentations. Mais une chose frappa d’emblée, à savoir l’écrasante majorité de trentenaires parmi les mille spectateurs admis.

C’est dire que l’idée de confier une carte blanche au compositeur Rone, star de la musique électronique – qui a choisi à son tour d’inviter (La) Horde à partager cette création avec lui – vient de faire ses preuves, en prolongement de l’ouverture du club Josephine, même si ce Techno-Châtelet a rencontré les protestations venant du l’hôtel avoisinant, en raison de la force de frappe sonore de Rone. Mais Room with a View a bien eu lieu. Sans pouvoir aller jusqu’au bout.

(La) Horde et les communautés

Face à leur première création en tant que directeurs du Ballet National de Marseille, le constat est formel: Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel - autrement dit, (La) Horde - ont de la suite dans les idées. Ces dernières années, ils ont beaucoup travaillé avec des communautés et investigué sur les formes de contestation adoptées par la jeunesse d’aujourd’hui. D’abord, ils nous ont fait découvrir les youtubeurs chorégraphiques dans To Da Bone. Ensuite, l’ensemble traditionnel Iveroni de Géorgie et l’évocation de la jeunesse technophile à Tbilissi dans Marry me in Bassiani. (lire notre critique)

Galerie photo : Laurent Philippe

Chaque fois, le trio de (La) Horde a été à un endroit où on ne l’attendait pas. Mieux: Où on n’attendait personne. Et maintenant, une création avec le Ballet National de Marseille et sa troupe renouvelée par l’arrivée de treize nouveaux interprètes. Leur première œuvre comme directeurs d’une compagnie et d’une institution. Une nouvelle vie. Les enjeux étaient donc immenses: Allaient-ils conserver leur audace? Ou commenceraient-ils à s’assagir?

Bassiani, la suite ?

Room with a View a tout d’une évolution, comme si cette création découlait directement de la précédente. L’esprit du club techno de Tbilissi, le Bassiani, avec son opposition à la politique du gouvernement géorgien s’y prolonge, tout comme la vision d’une pierre chargée d’histoire. Dans le paysage improbable d’une carrière industrielle, un DJ emmène une bande de jeunes dans ses envolées et les teufeurs le lui rendent bien. La scène est dans les bas-fonds d’un monde probablement dystopique où une vingtaine de jeunes laissent éclater leur énergie, leurs pulsions et leurs rêves. Un bloc de pierre haut de dix mètres, des gravats, eux aussi de volumes impressionnants. Où l’on se croit sous un pont d’autoroute effondré ou dans les ruines du stade de football de Tbilisi, là où se trouve le club Bassiani.

Galerie photo : Laurent Philippe

Une place dans l’histoire

Ce spectacle entrera dans l’histoire du Châtelet, pour des raisons artistiques autant que dans sa position de dernière virée avant le Coronavirus. On ne mesure pas encore dans quelles dimensions il résonnera à la sortie de ce cataclysme sanitaire. Car Room with a View met en scène un effondrement et rend hommage à la force du collectif, au partage et à la rébellion contre un ordre oppressant. Soudés par leur unisson et leurs frappes des pieds, les dix-huit jeunes citoyens se jettent dans une bataille de rue face à des forces armées imaginaires. Mais leurs ralentis collectifs ne sont pas moins époustouflants.

Galerie photo : Laurent Philippe

Et les regards se tournent vers le ciel, vers ce plafond de la salle qui commence à clignoter à nouveau, comme pour indiquer une voie de sortie spirituelle. Suite à quoi tous disparaissent en escaladant la pierre, comme s’ils se mettaient à voler. Room with a View: On peut se trouver confiné à des moments, mais il faut continuer à cultiver les visions. Et voilà que juste deux semaines après sa création, le monde n’est plus le même. Avec l’effondrement progressif des certitudes de la veille, on constate qu’il s’agit là d’une pièce au potentiel parfaitement visionnaire. Emmanuel Macron nous parle d’une « guerre sanitaire » ?

Alain Damasio, rédacteur en chef de la revue Le Réveil des Imaginaires, qui signe un éditorial dans le programme de salle, proclame une « guerre des imaginaires » laquelle est engagée, symbolisée sur le plateau.

Galerie photo : Laurent Philippe

Une fois de plus, les trois créateurs chorégraphiques de (La) Horde font un pied de nez aux conventions et ouvrent de nouvelles perspectives, tout en restant fidèles à leur principe de ne pas se servir du CCN Ballet de Marseille comme un instrument au service de leur propre développement, mais dans un esprit d’incubateur. Room with a View est un projet qui appartient autant à eux qu’à Rone et aux danseurs. Pour leur prochain projet d’envergure, qui sera également présenté au Châtelet et créé fin mars 2021 à La Criée de Marseille, ils laissent libre champ à Oona Doherty, Tania Carvalho et Lasseindra Ninja pour des créations, autour de la reprise de Tempo Vicino de Lucinda Childs, pièce que la chorégraphe new-yorkaise avait créée avec le Ballet National de Marseille en 2009.

Thomas Hahn

Vu le 11 mars 2020, Paris, Théâtre du Châtelet

Room with a View
Musique : Rone
Mise en scène, chorégraphie : (LA)HORDE
Concept artistique : (LA)HORDE et Rone
Scénographie : Julien Peissel
Création lumière : Eric Wurtz
Costumes : Salomé Pouloudenny
Hair design : Charlie Le Mindu
Danseur.se.s - Ballet National de Marseille : Sarah Abicht, Daniel Alwell, Mathieu Aribot, Malgorzata Czajowska, Clara Davidson, Myrto Georgiadi, Vito Giotta, Nathan Gombert, Nonoka Kato, Kelly Keesing, Yoshiko Kinoshita, Angel Martinez Hernandez, Filippo Nannucci, Tomer Pistiner, Aya Sato, Dovydas Strimaitis, Elena Valls Garcia, Nahimana Vandenbussche

Une commande du Théâtre du Châtelet, en accord avec Décibels Production et Infiné

Coproduction Théâtre du Châtelet, Ballet National de Marseille, Grand Théâtre de Provence

En tournée :
Lyon, Les Nuits de Fourvière, 20 et 21 juillet 2020
Chalon-sur-Saône Espace des Arts, 18 novembre 2020
Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, février 2021.

 

 

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