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Maud Le Pladec au Festival Aire de Jeu

Passionnée de musique contemporaine Maud Le Pladec est invitée pour la troisième fois au festival Aire de jeu. Elle a demandé à Okwui Okpokwasili, remarquable performeuse américaine d’origine nigériane, de chorégraphier à ses côtés. Ensemble elles coécrivent Hunted : « une incantation ou un rituel performatif où la question de l’adresse, de la fiction et de la mémoire sont en jeu.

Danser Canal Historique : Vous êtes une habituée du festival Aire de Jeu, puisque c’est votre troisième collaboration. Cela vient-il de votre appétence pour la musique contemporaine ?

Maud Le Pladec : On ne sait jamais vraiment d’où naissent les projets. J’avais déjà créé Professor et Poetry avec le compositeur Fausto Romitelli quand les Subsistances m’ont sollicitée. Depuis mes premiers projets j’avais toujours travaillé autour de la musique contemporaine. Ce qui est particulier dans le cas d’Aire de jeu, est qu’il s’agit toujours d’une commande alors que j’ai toujours choisi les compositeurs parce qu’ils me plaisaient, mais surtout parce qu’ils s’articulaient bien avec les sujets que j’avais envie d’aborder. De plus, nous avons très peu de temps pour créer dans ce cadre, soit entre trois semaines et un mois. Donc il faut choisir une composition dans le répertoire imposé qui vous convient bien, alors que je prends d’habitude beaucoup plus de temps pour me décider.

DCH : Connaissiez-vous Kalevi Aho ?

Maud Le Pladec : Je ne le connaissais pas du tout. Alors que sur les éditions précédentes, par exemple en 2012, avec David Lang, je connaissais l’école postminimaliste américaine. D’ailleurs, cette rencontre m’a poussé à m’intéresser au collectif Bang on the Can all Stars qui réunit également Julia Wolfe et Michael Gordon, ces trois compositeurs étant à l’initiative de ce collectif à la fin des années 1980. En 2012, je me suis donc attachée à découvrir, par extension, ces autres membres du collectif et du coup, est née une trilogie que j’avais commencée pour Aire de Jeu avec Demo et qui est devenu un triptyque avec Democracy sur la musique de Julia Wolfe et Concrete sur celle de Michael Gordon. Donc trois pièces sur trois ans autour de ce répertoire contemporain de musique américaine. J’ai même demandé et obtenu une bourse de la Villa Médicis Hors-les-Murs pour partir à New York travailler avec Michael Gordon ! Ce projet permet donc cette extension, cette découverte. Et chacun de ces projets a été pour moi un tremplin, un starter pour me lancer vers autre chose.

DCH : Vous êtes très experte en musique contemporaine. Avez-vous suivi une formation musicale ?

Maud Le Pladec : Non, pas du tout. Je ne sais pas d’où c’est venu. Je ne sais même pas lire la musique. J’ai une formation d’autodidacte car j’aime écouter. Voilà cinq ans que je creuse cette question comme si j’avais ouvert une boîte de Pandore. Ce qui est certain, c’est que je n’écoutais pas les mêmes choses que les autres adolescents. J’aimais Art of Noise, Tangerine Dream, Brian Eno et finalement ces groupes de musique New Age ont influencé nombre de compositeurs contemporains, comme Terry Riley ou Steve Reich. Tout comme Thom Yorke continue d’influencer beaucoup de ses contemporains. J’ai une culture musicale « de proximité » c’est sans doute ce qui m’a amenée à la musique contemporaine. Mais je suis toujours en phase d’apprentissage, je rencontre des musiques et des gens nouveaux et c’est ce qui me motive et éveille de nouvelles envies.
C’est aussi la raison pour laquelle je travaille avec des experts comme le coordinateur artistique d’Ictus, Tom Pauwels. Nous parlons beaucoup ensemble. Mais je rencontre de plus en plus souvent des personnes qui sont de grands spécialistes de musique d’aujourd’hui.

DCH : Auriez-vous choisi Kalevi Aho pour créer une pièce si Aire de Jeu ne vous l’avait pas proposé ?

Maud Le Pladec : Pas du tout. Et sa musique est très éloignée de mes goûts naturels. Il a une esthétique plutôt classique, y compris dans son instrumentarium, pour de la musique contemporaine, il a écrit 17 symphonies, ce qui est surprenant à notre époque. Mais c’est dans son écriture et dans sa composition que l’on trouve la contemporanéité. Il a, par exemple, écrit un concerto pour cor pour lequel il est presque impossible de trouver un interprète capable de le jouer tant sa composition est complexe. Il a une rigueur, un exigence, qui insuffle de la contemporanéité dans une œuvre finalement assez académique.

DCH : Quelle œuvre avez-vous choisi dans son répertoire ?

Maud Le Pladec : J’ai décidé de travailler sur les sonates pour accordéon pour déplacer la musique, la tordre. Et comme je l’ai dit, le temps du projet étant très resserré, je préférais travailler avec une œuvre qui ne sollicitait pas trop de musiciens au plateau. Black Birds est la réunion de quatre sonates pour un seul accordéon qui, ensuite, a été revue pour la création avec deux accordéons. Finalement, j’ai trouvé cette écriture beaucoup plus actuelle, beaucoup plus surprenante que je ne le pensais au départ, et surtout au service d’un projet de notre temps. J’ai dû opérer une sorte de gymnastique intellectuelle pour utiliser cette musique et du coup, l’idée de travailler avec du texte a surgi. C’est très nouveau pour moi, car généralement, je travaille la danse dans une sorte de jeu de miroir où la musique réfléchit le mouvement, où elle fait jaillir la forme. Là, j’ai eu envie de travailler avec un langage et un répertoire qui ne relevaient pas de l’accord musique/danse. La pièce est donc tissée d’un texte, – que j’ai coécrit avec Okwui Okpokwasili qui est performeuse et écrivaine, – de la musique, du dispositif et du mouvement. J’avais le désir de trouver un champ d’exploration et un langage au confluent de ces quatre réalités.

 

DCH : J’ai lu dans le dossier de présentation de votre création que l’accordéon était associé au diable…

Maud Le Pladec : Ce sont les musiciens qui m’ont parlé de cette association. L’accordéon est un instrument assez récent (créé dans les années 1830 NDLR) mais il a été interdit dans les églises parce que l’on ne savait pas d’où provenait l’air qui en sortait pour composer le son. C’est la raison pour laquelle il faisait peur et a été considéré comme « diabolique », contrairement à l’harmonium. Le fait qu’il se joue debout n’était pas non plus en odeur de sainteté. En fait, j’avais quelques a priori sur l’accordéon qui est souvent associé au musette. Alors qu’il a une palette de sons vraiment impressionnante. En fait, il est présent dans beaucoup de pièces musicales d’aujourd’hui mais il est, le plus souvent, noyé dans les orchestrations. Il comprend notamment des notes très aigües qui peuvent être tenues très longtemps grâce au soufflet. Du coup, il est très intéressant pour la musique spectrale, par exemple. Il peut même sonner comme un effet larsen. En fait, c’est ce qui est passionnant dans ce type de projet. La découverte est toujours beaucoup plus forte que prévu et je commence à prendre un grand plaisir à travailler avec ces instruments.

Il y a une forme de mystère dans la musique de Kalevi Aho, si on écoute ce qu’il propose, en terme d’écriture, pour l’accordéon ou même d’autres instruments, ça fait penser à Aeterna de Ligetti ou même des fragments d’œuvres de Messiaen. Il a quelque chose de mystique. J’aimerais comprendre comment il en est arrivé là. Je n’ai pas eu beaucoup d’échanges avec lui jusqu’à présent et j’attends son arrivée avec impatience car j’ai hâte d’entendre ce qu’il a à dire sur ce qu’il a composé.

DCH : Vous avez choisi pour thème les sorcières, ou plus précisément la chasse aux sorcières comme le suggère votre titre Hunted, pourquoi ce choix ?

Maud Le Pladec : Cette histoire de sorcières et de la chasse qui leur est attachée me hante depuis longtemps. En 2003 ou 2004, quand nous avions fondé Leclubdes5 (avec Maeva Cunci, Mickaël Phelippeau, Virginie Thomas et Typhaine Heissat) j’avais déjà créé Fidelinka à partir de recherches sur la figure de l’hystérique, d’Augustine (la patiente de Charcot) à Beyoncé. Il existe, selon moi, un tronc commun entre la sorcière et l’hystérique, dans son ambivalence, dans la posture qu’elle peut prendre suivant les époques, soit hérétique, soit hystérique. Nous avions été consulter les archives à la Salpétrière pour constater quels types de femmes étaient considérées comme telles et pourquoi on les enfermait. En fait, elles étaient surtout subversives. Elles n’auraient rien d’extraordinaire ni de pathologique si on les examinait aujourd’hui. En fait, l’hystérie comme la figure de la sorcière questionne le modèle féminin, la norme imposée. On n’est jamais séditieux que dans un contexte donné. Mais, en plus de parler féminité et normalité, j’aborde dans cette pièce une dimension que je n’exprime jamais, liée à des émotions plus personnelles de l’ordre mystique ou ésotérique. J’ai eu envie de parler des femmes sous la dimension de l’être, social, spirituel, subversif, pourchassé.

DCH : Vous dites : « La sorcière, c’est l’incarnation d’un monde de femmes que le capitalisme tente de détruire » pourquoi ?

Maud Le Pladec : L’époque de la chasse aux sorcières en Europe se situe entre 1500 et 1660. Soit de la fin du Moyen-Âge aux débuts de l’époque Moderne qui représente, d’une certaine façon, les balbutiements du capitalisme. C’est une construction de l’image de la femme qui est perçue comme sorcière. En fait, c’est un sujet inépuisable qui recoupe toutes les questions liées à la féminité et à la condition féminine. Ces interrogations et ces persécutions se posent encore aujourd’hui en Afrique, et dans toutes les parties du monde où la femme est oppressée et où les sorcières font peur. Certains collectifs féministes se sont d’ailleurs réappropriés ces représentations de la sorcière, comme le collectif W.I.T.C.H. (witch : sorcière) et travaillent à inverser les connotations négatives liées à la féminité en insistant sur leurs aspects positifs pour construire une figure alternative de la femme d’aujourd’hui.
Ce sont souvent des femmes puissantes, connectées à des forces surnaturelles, qui revendiquent leur différence. Au cours du temps c’étaient aussi des guérisseuses, qui flirtaient avec les médecines alternatives, non reconnues par la science et surtout par les médecins qui n’étaient pas prêts à perdre leur pouvoir et leur statut.

 

DCH : C’était également très lié à la mise en avant du désir féminin…

Maud Le Pladec : Le texte que nous avons co-écrit avec Okwui est un monologue de quarante minutes, une incantation, une sorte de mélopée continue qui débute par une entrée à dimension pornographique comme une revendication de ce qui traverse ce corps de femme en proie au désir. Le vocabulaire est cru, mais très beau.

DCH : Vous sentez-vous particulièrement concernée par ces formes de résistance aux différents pouvoirs ?

Maud Le Pladec : Une de mes pièces s’appelle Democracy et je me sens profondément concernée par ce thème. J’essaie de proposer des projets qui peuvent toucher à certains sujets que la danse ne peut traiter seule. D’où le texte. J’ai toujours le souci de la forme liée à l’écriture chorégraphique et musicale, mais aussi de définir un fond qui prend ses racines dans une réflexion philosophique et politique. J’ai beaucoup lu Miguel Abensour qui interroge les fondements de la vraie démocratie, comprise comme le Demos, qui est un processus individuel et subjectif et non une machine politico-juridique. Donc j’ai eu envie de croiser au sein d’un même projet ces préoccupations tout en gardant ma spécificité de chorégraphe. Okwui est une performeuse pluridisciplinaire, actrice et écrivaine. Du coup, elle m’a permis d’intégrer le texte. C’est une vraie recherche sur comment faire danser les mots, comment incarner la musique, comment trouver un langage intérieur. Car d’une certaine façon, il y a toujours des mots à l’origine d’une danse, des sensations, des émotions qui proviennent d’un espace mental riche et fort d’où le mouvement est issu. C’est de ces mots qu’est constituée mon expérience de danseuse et j’ai envie de les partager. Ce sont ces réflexions qui viennent nourrir mes projets, en tant que femme.

DCH : Comment avez vous rencontré Okwui Okpokwasili ?

Maud Le Pladec : Okwui, c’est un coup du destin. Je me demande d’ailleurs si on n’est pas parfois connecté à des forces occultes ! Quand j’ai accepté de participer à ce projet Aire de Jeu, j’avais au départ, l’idée d’être sur le plateau. Et j’ai pensé que ce serait mieux si je pouvais m’adjoindre une présence très forte tout en imaginant une femme venue d’une autre culture, ce qui me semblait pertinent pour traiter le thème que j’avais choisi. J’ai interrogé plusieurs personnes et j’en suis arrivée au nom d’Okwui. La première fois que je l’ai vue, c’était en photo sur Internet. Ensuite, je suis partie à New York en mai dernier pour une tournée de Democracy et elle proposait un projet en même temps. Donc je suis allée la voir et ça a été un coup de foudre artistique, c’est une danseuse et une personne extraordinaire. Du coup, ça fait deux semaines que nous travaillons ensemble et je ne suis plus sur le plateau. Elle est tellement formidable, elle prend complètement possession du plateau… La sorcière, c’est elle !

Propos recueillis par Agnès Izrine

Aire de jeu : jusqu'au 31 janvier 2015

Hunted : jeudi 29 janvier 2015 / 19:30, vendredi 30 janvier 2015 / 19:00, samedi 31 janvier 2015 / 20:00

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