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Les engagements de l’édition 2023 du Festival de Marseille

La deuxième édition signée Marie Didier fourmille de projets citoyens et tournés vers les jeunesses en quête d’avenir.

Les grands événements de cette édition interrogent les aspirations des populations, le corps collectif et l’engagement politique, la lutte pour l’égalité et pour l’avenir de la jeunesse : l’ouverture avec Aina Alegre, la nouvelle création de Lemi Ponifasio, et celle d’Alice Ripoll, Zone franche. D’autres, surtout Christophe Haleb et Benjamin Kahn, sont comme des accompagnateurs permanents du festival, avec des propositions multiples qui s’installent à la manière d’un feuilleton.

Jeunesses françaises

C’est vrai pour Christophe Haleb d’autant plus que ses contributions au festival se déroulent sur grand écran, autour du projet Eternelle jeunesse, où il dresse le portrait de la jeunesse d’aujourd’hui dans différentes villes françaises : Valence, Amiens, Uzès, Pont-Saint-Esprit et Romans-sur-Isère. Il crée ainsi un projet au long cours entre poésie filmée, documentaire, films de danse et fulgurances adolescentes où les corps et les caméras inventent de nouveaux espaces de rencontre, de nouveaux cheminements, libérant paroles, mouvements et chansons dont il dévoile ici les rencontres faites à Valence et Amiens.

Et cet intérêt pour ce que pensent et ressentent les jeunes d’aujourd’hui le porte aussi ailleurs, sous d’autres cieux. Son premier long métrage (90 min), Las Maravillas, enquête en ce sens à Cuba, auprès de jeunes qui mettent leur corps à l’épreuve de la ville, à l’écoute de leur force d’émancipation et de leurs rêves de liberté, loin d’un Cuba fantasmé.

Portraits de jeunes danseurs

Sur scène, c’est Benjamin Kahn qui ouvre le bal avec son détonant solo pour Cherish Menzo, Sorry, But I Feel Slightly Disidentified… [lire notre critique] et il poursuit sa série de portraits avec un autre solo, cette fois pour Sati Veyrunes avec laquelle il travaille la diversité du cri comme manifestation de l’intime et vecteur de révolte sociale, écologique ou féministe… L’interprète-sujet est par ailleurs la fille du chorégraphe François Veyrunes (lequel nous est tout sauf inconnu). Troisième opus : The Blue Hour, créé sur mesure pour le jeune danseur Théo Aucremanne. Et voilà que la trilogie, où chaque pièce a sa propre identité tout en faisant écho aux autres, est au complet et à voir à Marseille dans son intégralité – et ce pour la première fois, vu que The Blue Hour voit sa première au festival. Aussi Kahn qui est chez lui autant sur une scène de théâtre en tant que comédien qu’en mettant en scène des spectacles de cirque, prend à sa manière la température de la jeunesse actuelle.

Jeunesse cubaine

Comme Christophe Haleb, Éric Minh Cuong Castaing est un artiste marseillais qui cherche la rencontre au lointain. Pour une fois, il ne va pas interroger le corps et nos relations à travers la technologie. Nous sommes cependant connectés par visioconférence avec des jeunes musiciens et créateurs du quartier de Wakaliga, à Kampala, en Ouganda. Entre récit documentaire, cinéma et stand-up, Waka <o> Criée  nous présente à la fois le répertoire musical engagé entre reggaeton, afrobeat et pop anglo-saxonne des Waka Starz ainsi que la vie de leur quartier et leurs courts-métrages, mêlant comédie musicale, afrofuturisme, chorégraphie kung-fu et satire politique. Voilà un autre portrait de la jeunesse d’aujourd’hui.

Les femmes de Kaboul, de Beyrouth et du Caire…

Et le festival abonde en ce sens avec Inside Kaboul, film d’animation documentaire qui donne à voir le quotidien de la jeunesse afghane au temps des talibans. Renversement de la perspective avec Du temps où ma mère racontait d’Ali Chahrour. Le Libanais s’inspire de sa propre histoire familiale dans une performance musicale, théâtrale et chorégraphique où deux femmes racontent leurs combats personnels, l’une pour sauver son fils du statut de martyr et l’autre pour retrouver son enfant disparu. Du Caire vient Salma Salem avec Anchoring, un solo qui évoque, à travers une approche rituelle, la domination patriarcale sur le corps des femmes avec son contrôle sur leur façon de marcher, de parler etc. Sujet lié à une culture spécifique ou universel.

Amérique latine et avenir

Avec Alice Ripoll, le Brésil tient définitivement une nouvelle vedette chorégraphique. En créant avec Zona franca une autre pièce explosive, elle dresse un portrait des aspirations de la jeunesse brésilienne actuelle qui sort de l’ère Bolsonaro. Et elle pose des questions universelles autour de la  démocratie (« Que se passe-t-il lorsqu’une société fait le choix de la barbarie, de la guerre, et que l’individu se retrouve impuissant ? Qui choisit donc nos choix personnels ? ») et de la liberté (« Dans quelle mesure un groupe encourage-t-il ou étouffe-t-il la possibilité d’être libre ? »). Sur Zona franca  qui questionne le rapport entre les danses urbaines et populaires au Brésil, elle dit : « Nous utilisons des éléments rituels tels que la transe, le vertige provoqué par les tambours. La zone est franche, ce sont des vérités que l’on apporte. Nous avons créé un espace de quête de liberté, à la fois celle des artistes interprètes et celle du public. »

L’un des grands événements de cette édition et sans conteste la venue de Lemi Ponifasio. Mais la forme choisie pour Amor a la muerte  est intimiste et, plus étonnant encore, elle porte sur le flamenco pour un duo sous forme presque classique, avec le duo Natalia Garcia-Huidobro (danse) et Elisa Avendaño Curaqueo (chant). Mais le sujet part du Chili, autour du meurtre d’un ancien militant étudiant et agriculteur mapuche. Aussi Ponifasio, qui n’est  autre qu’un chef samoan,  poursuit son engagement en faveur des peuples autochtones en se tournant vers les Mapuche qui souffrent à la fois de la politique répressive du gouvernement chilien et du changement climatique. Et si Elisa Avendaño Curaqueo fait bien partie des Mapuche et a reçu en 2022 le prix national de la musique du Chili, les raisons du choix de Natalia Garcia-Huidobro et donc du flamenco s’éclaireront sans doute en voyant le spectacle.

Danser le patrimoine Par comparaison avec ces aventures, Lovetrain2020 d’Emanuel Gat fait pratiquement partie de l’inventaire du paysage chorégraphique. Cette « comédie musicale contemporaine » qui selon notre confrère Philippe Verrièle « relève d’un esprit baroque rarement vu sur les scènes » de notre époque [lire notre critique] investit cette fois le Théâtre National de La Criée, où le festival verra aussi sa clôture avec Skatepark de Mette Ingvartsen que nous avons pu découvrir à La Villette [lire notre critique].

Au cours de cette édition, le patrimoine marseillais est mis à contribution et il s’y prête volontiers. La Cité Radieuse, fameuse œuvre de Le Corbusier, ouvre son toit-terrasse pour une séance cinéma de Christophe Haleb ou bien, là encore pour accueillir le cinéma de Haleb, la Citadelle de Marseille. Car Las Maravillas  fera l’ouverture de festival Ciné Plein Air. Par la diversité des styles et des expériences à faire lors de cette édition, le festival produit un grand écart très citoyen entre la Cité Radieuse, la Citadelle et la Friche Belle de Mai qui fait incontestablement partie du patrimoine marseillais. Surplombant le Vieux-Port, l’édifice militaire du Fort Saint Nicolas, classé monument historique depuis 1969, sera exceptionnellement ouvert pour accueillir une centaine d’interprètes amateurs locaux dans Parades & Désobéissances  d’Aina Alegre. Particulièrement contente et passionnée de mener ce projet emblématique, la nouvelle directrice du CCN de Grenoble  [ lire notre entretien] s’inspire de fêtes populaires, de cortèges et de parades, qui célèbrent le collectif et relient nos corps à travers l’expérience de la danse. Cette déambulation collective est pour elle « un terrain pour réinventer le corps collectif ». Il est vrai que son enfance en Catalogne avec le rapport direct aux traditions la guide aujourd’hui encore. Elle ne pouvait donc pas mieux tomber, étant donné que le Fort Saint Nicolas est niché entre le Vieux Port et, côté mer, la plage des Catalans.

Se laisser emporter Côté Friche, c’est Bintou Dembélé qui amène les festivaliers, guidés par une douzaine de danseurs, sur une exploration de trois heures, autrement dit un G.R.O.O.V.E.  qui abat les frontières entre art savant et cultures populaires, sur le swing irrésistible de la Danse du calumet de la paix des Indes galantes  de Rameau, air sur lequel les danseurs urbains guidés par Dembélé avaient secoué le plateau de l’Opéra Bastille en 2019. Et la chorégraphe semble ici encore vouloir détourner Rameau dans une performance déambulatoire et jubilatoire, en complicité avec la chanteuse Célia Kameni et le guitariste Charles Amblard. Cette ébullition qui s’est déjà produite à l’Opéra de Lille et qui se produira ensuite à l’Opéra d’Avignon passe donc par la Friche Belle de Mai dans une tout autre ambiance. Ainsi préparé, on n’a plus qu’à se laisser posséder par la force d’une communauté qui se crée par le partage, comme ce fut le cas en 1518 à Strasbourg, lors de la fameuse épidémie de danse qui ne cesse d’inspirer les chorégraphes contemporains, notamment pour fédérer les énergies entre danseurs professionnels et spectateurs qui se transforment en danseurs.

Quand Nolwenn Peterschmitt, qui codirige à Marseille le Group Crisis, appelle ainsi à une traversée de la cité Phocéenne, l’ambiance sera chaude, plus chaude encore que ce que nous réserve le changement climatique.

Thomas Hahn

Festival de Marseille 2023, du 17 juin au 9 juillet

 

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