June Events fête les 25 ans de l'Atelier de Paris
Joanne Leighton, Daniel Larrieu et le Brésil : L'Atelier de Paris rend hommage aux forces de la transformation.
L’équation est implacable. Vingt-quatre spectacles et une fête d'anniversaire, ça fait vingt-cinq événements, en hommage aux vingt-cinq ans de l'Atelier de Paris, jadis fondé par Carolyn Carlson. C'est le clin d'œil bien chiffré d'Anne Sauvage, qui dirige aujourd'hui le CDCN parisien, un quart de siècle qui, sous les arbres de la Cartoucherie, a été si formidablement occupé par la création chorégraphique. Ça se fête donc, tout comme les trente ans de la création du premier Centre de développement chorégraphique, à Toulouse.
Mieux : La fête va continuer en 2026, avec les vingt ans du festival June Events ! Car 2025 voit émerger la 19e édition, placée sous un plaidoyer pour la danse de la part d'Anne Sauvage qui nous rappelle ce dont la danse est capable. « La danse émancipe et transforme, la danse aide à prendre conscience et à prendre soin... La danse émeut, bouleverse, répare... », écrit-elle en réponse à sa question : « Que peut la danse ? » Autrement dit : la danse combat toute forme d'inertie. Et l’acte de créer est la manifestation d’une force progressiste.
De métamorphoses…
Et voilà que des tas de propositions de cette édition soulignent et incarnent le renouvellement permanent, la transformation, l’idée de métamorphose pour atteindre des horizons meilleurs… Mohamed Issaoui part d’une expérience personnelle qui a bouleversé sa vie, il part de son corps qui a su endurer la maladie, et il part de la revendication d’une identité non-normée. Pour ouvrir, par son solo Ommi Sissi, des espaces de liberté au corps et à la possibilité de s’épanouir au-delà des identités assignées, par une métamorphose du corps, désirée et assumée.
Wanjiru Kamuyu invite, dans Fragmented Shadows, à un voyage intérieur, pour ne garder que la légèreté, considérant le corps comme espace de guérison. Jeanne Brouaye œuvre pour des futurs meilleurs, en étudiant, pour et dans (M)other, l’influence de l'habitat sur la vie psychique. Cette pièce part de l’histoire réelle d’une femme qui s’est vue retirer la garde de son enfant parce qu’elle vivait dans une yourte. Cette pièce en trois tableaux, qui sera créée à L’Atelier de Paris, s’articule en trois tableaux et convoque parole, arts plastiques et danse, sur un mode choral et cathartique.
Les transformations et métamorphoses peuvent parfois surprendre, et là aussi, June Events en rend compte. Rebecca Journo déploie un improbable laboratoire de réactions physiques et sonores dans Les amours de la pieuvre [lire notre critique] qui joue sur le tableau de la monstruosité, dans un rhizome de performances simultanées, où tout semble pouvoir arriver. Comme dans la vie.
…en métamorphoses…
Et parfois, ce qui arrive s’appelle : Catastrophe. Et plus elle met de temps avant d’arriver réellement, moins on s’en rend compte. C’est dans ce sens que va la pensée de Pierre Pontvianne, lui qui cite Georges Didi-Hubermann : « Il n’y a pas de meilleure ruse pour les catastrophes que l’apparente normalité du temps qui passe. » Dans le duo là-Sextet, les gestes semblent ouvrir la porte à ce qui est, imprévisiblement et invisiblement, inéluctable. Mais il n’est pas seul à solliciter l’imaginaire du public en jouant avec l’idée d’un événement à venir. Chez Manuel Roque, Le Vent se lève, et plus le vent s’amplifie et se met à vriller, plus il joue avec la chute du chorégraphe-interprète qui semble se faire emporter par le tourbillon, jusqu’à une apparente décomposition du corps qui se transforme sous nos yeux.
Liz Santoro et Pierre Godard ont créé le duo Mutual information en 2021, dans le cadre de June Events [lire notre critique]. Le retour de cette proposition confondante souligne l’importance des réflexions sur les questions de l’identité et de la transformation. Entre les deux personnages – mais peut-être ne sont-ils qu’un seul – émerge le désir de se confondre avec l’autre. Mais comment faire ? Les tentatives, toujours couronnées d’échecs, pourraient prendre des couleurs beckettiennes, mais sont pourtant emplies de poésie. Par contre, il y a une différence de taille avec le duo à la création, à l’époque interprété par Liz Santoro face à Jacquelyn Elder, les deux femmes jouant sur leur ressemblance naturelle. Aujourd’hui, Santoro se trouve face à un homme : Jayson Batut. Forcément, la lecture s’en trouvera modifiée.
Alors, comment trouver la voie de la métamorphose ? Peut-être faut-il en discuter avec Rémy Héritier qui veut « envisager une œuvre comme une caisse de résonance des autres, celles/ceux/ce, qui circulent en et à travers nous ». Dans son duo Un monde réel, le chorégraphe démontre qu’on « ne danse jamais seul » puisque que « ces autres, dont la liste est infinie, tissent des généalogies multiples qui relient sans hiérarchie des mouvements vu, appris, revendiqués, extorqués, oubliés, honteux, autres qu’humains, érodés, joyeux, sédimentés… »
…en déplacements
Citons à nouveau Anne Sauvage : « Les déplacements que l’art chorégraphique opère ne sont pas tous spectaculaires. Ils sont parfois difficiles à déceler, cachés dans les méandres du monde… », écrit-elle. Elle parle là de la vie et de l’intime, peut-être. Mais le constat vaut aussi pour la scène. On peut penser à Louise Vanneste qui s’inspire du cycle du métamorphisme des roches, pour créer le quintette Mossy Eye Moor, d’abord au Kunsten de Bruxelles et directement après, à June Events. Forcément, le mode opératoire sera intimiste, quand « une oralité chorégraphique naît d’histoires récoltées sous forme d’informations scientifiques, d’hallucinations, de souvenirs, de sensations, qui au plateau se manifestent sous différents modes d’adresse et de partage : copier, incorporer, symboliser, expliquer, en faire l’objet d’une conférence, plonger/halluciner, s’altérer… »
Et parfois, les déplacements de l’art chorégraphique sont un véritable tourbillon. Alors, action ! C’est quasiment sur un tournage que Marie-Caroline Hominal convie le public des dix danseurs et trois musiciens qui jouent les tableaux extrêmement éphémères de Numéro O / scène III. Mais qui dit cinéma, ne revendique, pas, ici, une trame narrative. C’est la dynamique des transformations et enchaînements qui meut la transformation permanente, les apparitions et disparitions. Et puis, le public fait partie de la mécanique, voyant d’abord scène III comme de l’intérieur, en prenant place sur le plateau. Et ensuite, dans une perspective frontale, classique. Alors, deux spectacles différents ou le même ?
Détours brésiliens
C’est l’Année Brésil France 2025, et June Events l’honore en accueillant trois chorégraphes de la nouvelle garde en train de prendre la relève, sous la bannière d’ordem e progresso. Puma Camillê, Dilo Paulo et Jessica Teixeira présentent leurs solos respectifs avec une journée (le 10 juin) qui permet de voir les trois dans la foulée. Un vrai voyage donc, lequel commence par Eseka Sanko, où Dilo Paulo, Angolais travaillant à Brasilia, raconte l’histoire d’un héros qui, ayant perdu la mémoire de son passé, entreprend un voyage pour renouer avec ses ancêtres.
Puma Camillê, femme, noire et trans, militante engagée pour l’inclusion et la diversité, place son Mandinga do futuro, en rythme de résistance à la croisée entre la capoeira, la culture ballroom, la danse afro et la samba. L’univers de Jessica Teixera s’apparente aux freak shows. Cette artiste multidisciplinaire, qui utilise son corps comme matière principale de sa recherche artistique, raconte dans Monga l’histoire presque authentique d’une danseuse, chanteuse et actrice qui fut exhibée dans des zoos humains, en raison de malformations et d’une pilosité excessive. On peut même commencer cette soirée brésilienne par les 6 à 7, ces présentations de projets en cours de création, avec Vania Vaneau qui prépare Traços Do Brasil, dont elle livre un avant-goût en toute liberté.
Rencontres avec la nature
Incontournables dans leur lien avec la danse, les regards sur la nature constituent un véritable fil rouge de June Events. D’édition en édition, le public se déplace et trouve des respirations chorégraphiques dans un écrin vert qui remplace la boîte noire du théâtre. Cette année, on peut rejoindre Geisha Fontaine et Pierre Cottreau pour Mille et une danses au Jardin de Reuilly pour une performance à cinquante où l’on fait corps avec le jardin. Ou bien se promener dans la forêt avant de voir The Gathering de Joanne Leighton, où une communauté fusionne avec la nature, sur un « plateau-forêt » où la sylve n’est jamais loin [lire notre critique]. Sans discours militant, mais en œuvrant dans le sens de la lente transformation non-spectaculaire, The Gathering est une proposition d’armistice par l’humanité en direction de la nature.
Dans la même perspective, on peut regarder et écouter les Vagabondages et Conversations entre le chorégraphe Christian Ubl et le jardinier-paysagiste-écrivain Gilles Clément où tout tourne autour des plantes, de la floraison, de l’ensemencement et de la relation entre les hommes et leurs jardins, ici vu dans la perspective de la culture qui cherche des voies de cohabitation avec la nature.
Et si la danse fait de la nature un sujet à danser, on peut ajouter à cette quête-là le Sacre du printemps. Car ce rite ancestral, quoique fictif, montre comment l’humanité est liée à la nature, et comment elle choisit une voie sacrificielle, tout en donnant le mauvais rôle au cycle des saisons. Et il faut un grand maître comme Daniel Larrieu pour signer un Sacre pour une seule interprète qui incarne tous les rôles. C’est Sophie Billon, en toute sobriété et dotée d’un foulard de soie comme unique accessoire, ce qui lui permet d’incarner toutes les époques qui ont vu la création de Nijinski se métamorphoser au fil du temps.
Thomas Hahn
19e édition de June Events, du 2 au 20 juin 2025
Le programme complet
Image de preview : The Gathering de Joanne Leighton © Patrick Berger
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