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Eun-Me Ahn : « Let me change your name »

Où l’on découvre cette chorégraphe coréenne débridée dans un esprit  (peut-être pas si) différent de ses récents triomphes en France.

Surprise de style, surprise de taille : Dans Let me change your name, Eun-Me Ahn présente sa recherche chorégraphique sous le signe de grands aplats de couleur et donc d’une sobriété que les Parisiens ne lui connaissaient pas, ayant rencontré cette enfant terrible du Pays du Matin Calme grâce à sa trilogie Dancing Grandmothers / ...Teens Teens / ...Middle Aged Men, voire dans son rôle-titre de Symphoca Princess Bari.

Let me change your name, pièce ludique mais également troublante, est toute aussi inattendue pour ceux qui en ont reçu un premier aperçu, grâce au spectacle de la compagnie Grenade, sous la direction artistique de Josette Baïz, dans la création Welcome, programme (toujours en tournée, par ailleurs) créé à partir de pièces de chorégraphes femmes de trois continents. lire notre article

Plus précisément, selon Ahn, il s’agissait là d’une sorte de résumé de sa pièce, plutôt que d’un extrait. Sauf que la version brève pour Welcome se concentre sur les parties colorées, alors que la version intégrale connaît des ambiances radicalement opposées, dans les tableaux en noir et blanc, entre lesquelles les parties couleur brillent d’un éclat presque surréel.

Techno et shamanisme

Très métaphorique, la dualité de Let me change your name offre de multiples possibilités de lecture. Transe et shamanisme tendent la main à des ambiances de fête sur musique techno, comme dans un défilé de mode débridé où les robes, identiques sauf dans leurs couleurs, passent de corps en corps. Il arrive que la tentation sexuelle, voire un esprit carrément anarchique semblent l’emporter. Mais la chorégraphie, qui procède d’une rigueur implacable, a toujours le dernier mot. Justement, toute l’histoire entre Eun-Me Ahn et la danse est celle d’une quête de liberté(s) dans une société encore (mais de moins en moins) régie par des  codes ancestraux. Lire notre interview

"Let me change your name" - Galerie photo © NKWC

Aussi un monde nocturne, sombre et fantomatique est ici progressivement envahi par des éclats chromatiques, pour ensuite atteindre une apesanteur blanche, avant une rechute finale en direction des ténèbres. Le va-et-vient entre les univers est permanent et complexe, tout comme il existe en chacun des pensées noires et des pensées lumineuses, et même des états d’espérance.     

Eun-Me Ahn aux trois solos

Les langages chorégraphiques de Let me change your name contrastent entre des sauts joyeusement libres et des états contraints très articulés. La cerise sur le gâteau : En plus d’une troupe de danseurs aux personnalités rayonnantes qui brillent par leur énergie et leur technique, Eun-Me Ahn herself apparaît dans plusieurs solos, comme seulement un Ushio Amagatsu sait en ponctuer un spectacle.

"Let me change your name" © Yuna Choi

D’abord Ahn porte une longue robe noire (comme tous les danseurs dans cette partie de la pièce) qui devient forme et œuvre d’art plastique, dans une référence à Martha Graham, l’une de ses influences américaines. Plus tard (la pièce dure 80 min !), Ahn revient dans un rouge écarlate qui contraste avec quelques robes fluo portées par d’autres. Et elle n’hésite pas non plus à danser en jupe blanche, le torse dénudé, comme les jeunes de sa troupe.

Mais en fait, change-t-on de nom en enfilant la robe d’un(e) autre ? C’est ici qu’entre en jeu l’intérêt d’Eun-Me Ahn pour le shamanisme. Certains tableaux rappellent en effet des rites cherchant la transe, avec leurs mouvements répétitifs, à la lisière du mécanique, pouvant tendre vers la transe et le changement d’état ou d’identité. Les robes, tordues comme pour être essorées, deviennent des objets plastiques et véritables partenaires, à l’instar des accessoires, ici facétieusement réinventés, utilisés en certaines danses traditionnelles.

Aujourd’hui, Let me change your name a bel et bien une dizaine d’années au compteur, et donc bien plus que les créations d’Ahn vues à Paris Quartier d’Eté ou au Festival d’Automne. Ici elle met en scène l’avènement de la couleur, fort d’une clarté éclatante qui amplifie leur force. La différence avec ses autres pièces, où la jungle chromatique devient postulat de départ, est nette. Le lien entre les deux facettes de son travail l’est tout autant.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 22 juillet 2016 au Carreau du Temple, dans le cadre de Paris Quartier d’Eté

www.quartierdete.com
 

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