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Entretien avec Jean-Paul Montanari

A l'occasion de l'ouverture du 42ème festival de Montpellier Danse, Jean-Paul Montanari nous livre son point de vue sur la danse et sur le festival. 

Danser Canal Historique : Composez-vous un festival de la même manière qu’il y a dix, vingt, trente ou quarante ans ?

Jean-Paul Montanari : Sûrement pas ! L’histoire de la danse joue dans la manière de composer une programmation. D’autant que le festival, lui aussi a une histoire, avec les artistes, le public. Ce n’est donc jamais nouveau festival, mais un autre, auquel est ajouté quelques wagons supplémentaires. Je raconte toujours cette fable du spectateur idéal qui aurait vu les 42 éditions de Montpellier danse. Evidemment, ce spectateur, c’est moi. Même si à Montpellier, nous avons un très bon public dont certains ont vu énormément de propositions. Le principe de fonctionnement est toujours identique : de l’estime, de l’amour pour un certain nombre de créateurs, dont il faut absolument montrer les œuvres, régulièrement, pour que le public s’imprègne de leurs univers, rencontre les artistes. S’y ajoutent les découvertes, avec quelques chorégraphes dégottés en Israël, au Canada ou ailleurs… Même si le COVID n’a pas favorisé cet aspect des choses puisque nous n’avons pu nous déplacer normalement. 

Donc, ce n’est jamais ni tout à fait le même, ni tout un fait un autre. Et dans cet interstice s’écrivent mes interrogations, celles du public, les questionnements que je peux poser à la danse ou qu’elle peut susciter chez moi. D’ailleurs, je ne suis pas toujours maître du sujet, parfois c’est le sujet qui s’impose. Par exemple, pour la prochaine édition N°43, nombre de chorégraphes me proposent des reprises de pièces des trente-cinq-quarante dernières années. Il y a comme une nécessité. A quel point cette drôle de période que nous traversons, avec la guerre, les épidémies, cette situation politique invraisemblable, inextricable, sans solution, fait symptôme ? Voilà une réponse possible à cette question. Il y a vingt ans, personne n’envisageait des idées pareilles. Tout le monde voulait la prochaine création. Et nous étions submergés de demandes de chorégraphes qui nous la proposaient. Ce n’est plus exactement le cas. Comme si, peut-être, pour certains d’entre eux, une création de plus serait une création de trop dans ce monde qui déborde de produits, de propositions. Et au plan du marché de la danse, il y a un sacré embouteillage depuis le COVID.

DCH : L’écriture chorégraphique est capitale pour vous, mais on a l’impression que cette question de l’écriture semble être de moins en moins importante. C’est-à-dire qu’après les pionniers qui ont non seulement forgé leur propre langage chorégraphique mais, en plus, une technique, après les chorégraphes contemporains des années 80, 90, voire 2000 en France qui ont inventé leur vocabulaire, aujourd’hui les chorégraphes paraissent ne pas en éprouver la même nécessité. Pourquoi, selon vous ?

Jean-Paul Montanari :Ça correspond à la mise en cause de l’auteur, c’est-à-dire celui qui invente un univers, au profit de collectifs, d’expériences étranges, et autres. L’irruption des amateurs dans notre domaine, soit des gens qui n’ont aucune technique, en dit long. Ils sont autorisés à aller sur les plateaux pour faire partie de quelque chose qui n’est plus une œuvre non plus, parce que l’auteur, les danseurs professionnels, le langage et l’œuvre forment une même unité. Or, l’auteur s’est mis en berne, l’interprète – les amateurs font l’affaire, et l’œuvre pourquoi faire ? Nous assistons sans cesse au faufilage de l’œuvre, on voit la doublure, le processus de création mais pas la création elle-même. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais je ne me suis pas battu pour ça. Je me suis battu pour la danse comme art majeur. C’est clair. Un art d’écriture qui dit le monde, comme peuvent le faire la littérature ou la peinture. Mais dans ces arts-là aussi tout est en recomposition.

DCH : Pourquoi selon vous ?

Jean-Paul Montanari : Aujourd’hui, il y a une sorte d’injonction à la culture. C’est un passage obligé. Il y a quarante ou trente ans, les jeunes allaient voir des spectacles par curiosité. C’est peut-être ce qui a changé. Et puis, toutes les populations ont été incluses. Tant mieux. Du coup, l’art savant est devenu minoritaire. Et ma foi, tant qu’il est possible de continuer à travailler dans ce domaine je n’y vois que peu d’inconvénients. Le danger vient plutôt des politiques qui ont tendance à voir dans les spectateurs des électeurs potentiels et dans les théâtres un des rares endroits où ils voient la population réunie, avec la tentation de satisfaire tout le monde.  

DCH : Quel regard portez-vous sur le passé et l’avenir du festival ?

Jean-Paul Montanari : Ne perdons pas de vue la mission qui m’a été confiée il y a longtemps. Je ne lâcherai jamais prise avec la création. Le festival, dans ses statuts d’association Loi de 1901, c’est la défense des artistes et de la création. Et nous n’avons pas failli. Nous avons soutenu de nombreux artistes pour le talent que je leur supposais, qui a été confirmé depuis. Raimund Hoghe, Emanuel Gat, Nadia Beugré, Bouchra Ouizguen et beaucoup d’autres que j’ai aidé à démarrer. Personne ne remet en cause ni mes intuitions, ni ma volonté. Mais il est envisageable que le jour où je prendrai la décision de m’éloigner de cette histoire passionnante, ça donnera lieu à l’éventuel reproche d’avoir invité toujours les mêmes. Alors que le seul moyen que je connaisse pour faire approcher un artiste important par un public important c’est de fréquenter leurs œuvres. 

DCH : Quel rôle doivent jouer les institutions chorégraphiques aujourd’hui ?

Jean-Paul Montanari : Les institutions qui auraient dû être ce qui garantit une espèce de pérennité de la structure créative et de l’accueil des artistes, se révèlent inutiles. Ni les Découflé, ni les Boris Charmatz, ou François Chaignaud, ou Jérôme Bel, ou Emanuel Gat et bien d’autres ne sont dans ces institutions. Peut-être faudrait-il en inventer de nouvelles qui permettraient une rénovation permanente de la structure et de l’accueil des artistes. Actuellement, la plupart des créations sont transversales, pourquoi ne pas imaginer un très grand centre de création par région, extrêmement bien doté, avec des locaux, des théâtres qui serait, aujourd’hui, l’équivalent de l’invention des maisons de la Culture dans les années 1960, ou des Centres chorégraphiques nationaux en 1980, qui ont correspondu à un certain moment de notre histoire culturelle.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival Montpellier Danse

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