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Dominique Hervieu

Dominique Hervieu, directrice de la Biennale de la Danse de Lyon, nous donne sa vision de cette 17e édition.

DCH : Comment avez-vous construit cette 17e Biennale de la danse ?

Dominique Hervieu : À l’intérieur d’un panorama esthétique très large de la création actuelle qu’il me paraissait important de montrer, j’ai dégagé des temps forts. L’un d’entre eux sera l’accent mis sur le dialogue entre la danse savante et la danse populaire, matérialisé par un parcours au sein de cette biennale.

Comment déterminez-vous les fils rouges de votre programmation ?

Dominique Hervieu : Je m’appuie toujours sur les auteurs, afin d’être à l’écoute des artistes que je rencontre, et jusqu’à maintenant, il y a toujours une sorte « d’air du temps » qui crée un lien, sans que ces artistes parlent entre eux. À chaque édition, on peut distinguer une ligne de force qui s’impose à force de les écouter. Cette tension entre danse savante et populaire court depuis les débuts de l’histoire de la danse mais semble plus assumée, plus élaborée aujourd’hui. À partir de là, comme s’ouvrait, parallèlement à la Biennale de la Danse, l’exposition Corps Rebelles au Musée des Confluences, cela nous permettait également de nous projeter dans une dimension historique.
Par exemple le « Jerk » de Messe pour le Temps Présent de Maurice Béjart, créé en 1967, est un marqueur de cet emprunt revendiqué jusqu’à son titre. Et il est amusant de voir comment Pierre Henry, inventeur de la musique électroacoustique, qui n’a rien à voir avec la pop, s’empare de cette dimension. Du coup, sa musique éminemment savante, devient alors un « tube ».

Messe pour le Temps présent Remix © Avaduparc

Peut-on imaginer un même mécanisme aujourd’hui ? Quel parallèle peut-on imaginer entre Béjart et la danse actuelle ?

Dominique Hervieu : La pop culture fonctionne par emprunt et détournement, comme le pop art, avec un langage qui se déploie dans le contexte scénique. J’ai beaucoup regardé les archives, les journaux télévisés, on peut même faire un parallèle avec la post modern dance américaine quand Béjart dit : « ce qui m’intéresse, c’est la danse des gens ordinaires ». Mais autant la post modern dance puise dans les gestes quotidiens, autant Béjart ne lâche pas la virtuosité mais la passe à la moulinette, et demande aux danseurs de ne pas sortir de scène avant que le dernier spectateur n’ait quitté la salle… ce qui va devenir beaucoup plus tard un marqueur de la danse d’avant-garde.

Vous présentez également le Grand Remix d’Hervé Robbe qui est une relecture de l’œuvre de Béjart à l’aune de notre époque…

Dominique Hervieu : Nous sommes obligés d’avoir un regard critique, de mener une réflexion. La star, bien sûr, c’est Pierre Henry dans le Remix d’Hervé Robbe. C’est une façon de nous interroger sur la mémoire sans être dans la nostalgie, ou dans une relation fossilisée aux archives. Il s’agit plutôt de comprendre ce qui était en jeu à l’époque pour en dégager un levier d’invention. C’est une réactivation de l’archive. C’est aussi une forme de parallèle entre deux jeunesses, celle de 1967, avec une forme d’énergie, de prises de position, d’utopie, et celle d’aujourd’hui, plutôt dans le désœuvrement, le repli sur soi, le pessimisme. Ce sera joué huit fois  gratuitement dans le musée, et nous en profitons pour mener un travail d’éducation artistique.

Vous présentez également le Grand Remix d’Hervé Robbe qui est une relecture de l’œuvre de Béjart à l’aune de notre époque…

Dominique Hervieu : Nous sommes obligés d’avoir un regard critique, de mener une réflexion. La star, bien sûr, c’est Pierre Henry dans le Remix d’Hervé Robbe. C’est une façon de nous interroger sur la mémoire sans être dans la nostalgie, ou dans une relation fossilisée aux archives. Il s’agit plutôt de comprendre ce qui était en jeu à l’époque pour en dégager un levier d’invention. C’est une réactivation de l’archive. C’est aussi une forme de parallèle entre deux jeunesses, celle de 1967, avec une forme d’énergie, de prises de position, d’utopie, et celle d’aujourd’hui, plutôt dans le désœuvrement, le repli sur soi, le pessimisme. Ce sera joué huit fois  gratuitement dans le musée, et nous en profitons pour mener un travail d’éducation artistique.

En même temps, ce parcours savant et populaire est très diversifié…

Dominique Hervieu : Ce volet se décline dans un parcours de huit œuvres, abordées sous des angles différents.  De Christian Rizzo ou Yuval Pick jusqu’au cirque avec le Groupe Acrobatique de Tanger. Leur cas m’intéressait, car après avoir travaillé avec Aurélien Bory, puis De Perrot, est née une sorte de sentiment d’échec. Ils n’ont jamais pu montrer leur travail dans leur pays, parce qu’au Maroc, ils débordaient totalement le cadre du cirque arabe marocain. Ce qui pose de manière concrète les problèmes de perception et de réception des publics. Comment faire dialoguer leur héritage, leur identité circassienne et la création d’aujourd’hui ? Du coup, ils ont décidé d’être auteurs et ont signé leur pièce. Abdel de la compagnie XY les accompagne avec beaucoup de bienveillance et de fermeté.

Dans ce rapport entre savant et populaire, on trouve souvent l’origine de l’amour de la danse. Ses premiers abandons, ses premiers plaisirs kinésthésiques, cinétiques ou érotiques. Des expériences positives et chargées d’un soi en mouvement. C’est typiquement le cas du syndrome ian de Christian Rizzo. Mais on peut voir le même type de démarche avec Corbeaux de Bouchra Ouizguen, qui, avec les Aïtas, s’intéresse au statut de la femme  dans la société marocaine et son émancipation à travers la transe qu’elle décale de ses racines mystiques. Elle a su créer un lien très fort avec une trentaine d’amateurs, des gens qui n’avaient jamais dansé. Et elle a une exigence forte mais entraîne l’adhésion. Et puis, au chapitre « savant » Daniel Linehan convoque l’humour Dada d’Hugo Ball et de la poésie sonore.

Vous avez choisi des artistes qui, dans leur ensemble, ont choisi de conjuguer le savant au populaire. Mais tous ont leur spécificité. La vision de Chaignaud n’est pas celle de Gallotta, par exemple…

Dominique Hervieu : Cecilia Bengolea et François Chaignaud métissent également leur danse, avec une qualité d’appropriation exceptionnelle. Pourtant ils ne partent pas d’une pratique très approfondie de dance hall jamaïcain mais plutôt de leurs fantasmes et de leur admiration pour ces danseurs. Cette forme de superficialité permet d’assembler des choses improbables. C’est une sorte de laboratoire des pratiques avec une dimension politique de contre culture, en empruntant à ces gens qui s’opposent à leur société.

Par contre, il y a comme une sorte d’écho entre la tragi-comédie musicale de Jean-Claude Gallotta et Olivia Ruiz et celle de Yan Duyvendak…

Dominique Hervieu : Jean-Claude Gallotta et Olivia Ruiz concoctent une sorte de populaire noble. Ça m’intéressait de mettre leur œuvre en regard de la pseudo comédie musicale de Yan Duyvendak. En même temps, ce sont des pièces qui s’intéressent au genre comédie musicale, sauf que le rapport au réel reste brut, non édulcoré. Gallotta, comme Duyvendak ont des réponses communes dans le plaisir comme fondamental du rapport à la vie.

Jonah Bokaer, chorégraphe américain de l'abstraction, va collaborer avec le roi de la pop actuelle, Pharell Williams. C’est tout de même assez surprenant.

Dominique Hervieu : Jonah Bokaer est l’héritier de Cunningham, dans sa collaboration avec de grands musiciens ou de grands plasticiens. Il travaille depuis dix ans avec Daniel Arsham et incarne sa démarche dans un rapport entre exigence et sensibilité. Il a une sorte de présence désincarnée qui arrive à une sorte d’expérience plastique ou d’étrangeté organique. Cette expérience entre danse et art plastique devait trouver sa musique et c’est Pharell Williams qui va s’y atteler. Tout comme Olivia Ruiz, ce sont des musiciens pop qui posent la question de la création actuelle et développent des collaborations inédites dans un contexte inhabituel. Et il leur faut du courage pour aller vers des expériences artistiques où ils ont tout à perdre.

Et il y a le Battle of Styles, pouvez-vous nous en dire plus ?

Dominique Hervieu : Je me suis demandé quelle était la danse la plus populaire aujourd’hui. Et bien sûr, c’est le hip hop, et la forme la plus populaire du hip-hop, ce sont les battles. J’ai su qu’ils organisaient ce type de battle à Dresde, tous les mois. Ça obtient un tel succès qu’ils ont dû augmenter la jauge du Palais des Sports. Le jury sera composé de Mourad Merzouki, Cédric Andrieux, Laurent Goumarre et moi-même, ainsi qu’une personne de Dresde et une personne du public. Comme dans les battle, le jugement se fait à vue. Concourent le Ballet Preljocaj, des ex-danseurs de Forsythe, les Saxonz de Dresde, et les Pokémons, nos champions lyonnais.

Vous convoquez également des artistes qui sont hors de champ du savant et du populaire, comme Olivier Dubois qui vient créer Auguri.

Dominique Hervieu : Il trouvait que la danse était dans une posture morbide dans l’hyper intellectualisation. C’est une chorégraphie qui va vers un excès, au bout d’un processus, au bout des limites des interprètes dans une émulation collective. C’est un chorégraphe qui s’est démarqué de sa génération de manière élaborée, formalisée, argumentée dans sa démarche. Il développe l’intelligence sensorielle dans un équilibre entre intelligible et sensible.

Il semble que l’on peut-on également déceler dans cette édition un souci du politique…

Dominique Hervieu : Sans avoir défini un parcours « politique »  des démarches sensibles incarnent à travers les corps les bouleversements profonds qui agitent notre société. Mais ce sont souvent les mêmes que ceux précédemment cités, c’est juste la focale qui change.  Certes, Alain Platel, qui fait un parallèle entre 1900 et notre époque à travers la musique de Mahler, ou Roy Assaf qui évoque la guerre des six jours sont ancrés dans le politique.  Mais, la grande majorité des pièces présentées veulent renouer avec la réflexion, notamment comment l’art peut prendre en charge les émotions violentes d’une époque ou d’une société en tant que langage, articulation, écriture.

Vous déclinez également un parcours « Grands Interprètes ». Est-ce une façon de mettre en valeur ces « oubliés » de la danse contemporaine que sont les danseurs ?

Dominique Hervieu : Bien sûr, à part quelques très rares inconnus, les danseurs sont souvent méconnus, alors qu’ils sont la matière vive de la création.
C’est aussi une façon de traiter la question de la disparition des maîtres. Mais là où Jean-Paul Montanari (le directeur de Montpellier Danse NDLR) s’intéresse d’abord aux institutions et leur survivances, je m’attèle plutôt à voir comment les héritiers continuent à créer. Bokaer, Morganti, Granville, Lecavalier, ont tous étés danseurs chez les grands maîtres de notre temps et posent leurs gestes personnels dans les traces du passé. Je me situe davantage dans la fibre humaine, sensible, de ceux qui continuent.

Le Défilé est porteur de valeurs humanistes et utopistes qui combattent depuis toujours le repli identitaire. Mais, finalement, vous avez été obligée de le déplacer au Stade Gerland…

Dominique Hervieu : Le hasard veut que je l’ai nommé « Ensemble », avant les attentats. Bien entendu, c’est un enjeu citoyen de taille. La Biennale de Lyon, la Préfecture du Rhône, la Ville et la Métropole de Lyon ont décidé d’un commun accord de déplacer le Défilé de la Biennale de la Danse, prévu le dimanche 18 septembre prochain, dans l’enceinte du stade de Gerland et ce, pour des raisons de sécurité.
Les 4 500 participants au Défilé pourront ainsi offrir au public, dans des conditions de sécurité renforcées, le spectacle festif et participatif pour lequel ils s’investissent et travaillent depuis des mois. C’est un facteur de mixité sociale. Chacun peut y participer à son niveau, y compris les gens les plus éloignés de la culture. C’est le symbole d’une société ouverte. À l’heure du repli sur soi, la pratique artistique permet de surmonter des difficultés intellectuelles ou identitaires. L’histoire lyonnaise a intégré ces données de façon intuitive et festive. Nous menons tout un travail pour que l’ensemble des participants puisse avoir accès aux salles. Je suis persuadée de la nécessité d’une éducation artistique. Pour certains jeunes, l’expérience artistique est le seul moyen d’aborder des questions de fond, réveiller leur imaginaire. Nous avons également prévu une journée de réflexion avec Libération autour du thème : « la culture peut-elle faire société ? » avec des chorégraphes comme Rachid Ouramdane et Maguy Marin et des artistes, des chercheurs…

Et comme pour les trois précédentes éditions, Le Défilé se termine par un spectacle. Cette année ce sera Yoann Bourgeois. Mon idée étant que le succès de l’édition précédente soit offert à tout un chacun lors de la suivante. Là son système de scène circulaire sera mis en place dans le stade Gerland. C’est un spectacle hybride entre Cavale et Celui qui tombe.  C’est à la fois très sophistiqué tout en comprenant les enjeux du nombre sans que l’équilibre entre qualité et grande audience dans l’espace public soit altéré.

Concerner un très large public, est-ce un des enjeux majeurs de la Biennale de la danse ?

Le développement du public est un véritable enjeu pour la danse. Mais ça ne concerne pas que la Biennale ou la Maison de la danse de Lyon. Si les programmateurs invitaient trois pièces au lieu de deux, par saison, on augmenterait de deux tiers la diffusion de la danse en France.

Propos recueillis par Agnès Izrine

17e Biennale de la Danse de Lyon, du 14 au 30 septembre 2016. Billeterie Office de Tourisme, Place Bellecour, Lyon 2. Tél. : 04 27 46 65 65

Le Défilé se réservera uniquement sur le site www.biennaledeladanse.com à partir du 7 septembre. Les réservations sont obligatoires et ne se feront uniquement via le site Internet de la Biennale.

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