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Ballets de Monte Carlo : « But behind the bridge », de Natalia Horecna

Avec But behind the bridge, création mondiale pour vingt-trois danseurs, la jeune Slovaque embrase la troupe monégasque.

Engagée au Hamburg Ballett à partir de 1995 où elle devient soliste, Natalia Horecna rejoint le Scapino Ballet Rotterdam en 2003 et le Nederlands Dans Theater en 2006. C’est là qu’elle commence, partir de 2007, à signer ses propres pièces. Depuis elle en a créé, plus de trente-cinq en dix ans pour diverses compagnies européennes! Horecna appartient à la jeune génération de chorégraphes de ballet qui ne dirigent aucune compagnie mais sont invités à travailler avec les troupes les plus prestigieuses, et notamment par un cercle de directeurs qui  en redemandent. Dans son cas, ce sont le NDT, le Staatsoper de Vienne, le Hamburg Ballett, le Royal Danish Ballet et autres Finnish National Ballet ou Deutsche Oper am Rhein. Et, bien sûr, les Ballets de Monte Carlo.

Pourtant Horecna reste peu connue en France. Son point de chute le plus français dans l’âme est justement la troupe de Jean-Christophe Maillot lequel vient de la solliciter pour la deuxième fois. Et Horecna renouvelle l’impression qu’elle nous a laissée en 2015 avec Tales Absurd, Fatalistic Visions Predominate. [lire notre critique] Cette jeune femme à l’apparence si fragile aime à envoyer les danseurs dans des envolées physiques spectaculaires et crée des narrations tourbillonnantes, nourries de certains archétypes de nos contes et légendes, revus par le prisme de l’actualité.

L’humanité malgré la guerre

But behind the bridge est un hymne à la vie et à l’amour, en temps de guerre. Il y est question de barbarie, de douleur, de séparation, de perte, de désespoir, de manipulation, d’obsessions et d’expiation. La mort vient, parfois avec mélancolie, tournoyer autour d‘une humanité en perdition et de ses âmes éperdues.  Dans sa vision large et humaniste, Horecna désigne le personnage mortifère (Julien Guérin) comme Le Destin. Quand il s’assied en bord de scène, son corps semble se liquéfier. Cette élégie est pleine de poésie et d’énergie juvénile, aussi tragique soit-elle sur le fond, et Horecna amène les interprètes à s’investir corps et âme dans les tourbillons émotionnels des personnages.

But behind the bridge vise l’actualité d’un monde qui est en train de perdre son âme. Après Raimund Hoghe dans La Valse, Horecna est la deuxième chorégraphe à intégrer un re-enactment de la photographie du petit Aylan, enfant réfugié syrien trouvé mort à une plage en Turquie en septembre 2015. Hoghe l’incarne au début alors que Horecna le convoque pour la fin. La révolte est la même. De quel pont s’agit-il ? Le décor, avec une énorme lune côté cour, un pont en forme d’arc au centre et un pistolet surdimensionné côté jardin (signé Christiane Achatzi), tire fortement en direction de Bob Wilson, lui empruntant ce sens de la clarté et du mystère, de l’épure épousant la poésie graphique.

Un pont-manifeste

Mais alors, où mène ce pont face auquel se déroule la pièce ? A défaut d’être une passerelle vers la lune, il rappelle évidemment le pont de Mostar qui reliait les parties bosniaque et croate de la ville, pont emblématique qui fut détruit en 1993. De Mostar à Homs, But behind the bridge oppose à la barbarie un vivre-ensemble des langages chorégraphiques, du ballet à l’expressionnisme.

Galerie photo © Alice Blangero

En comparaison avec Tales Absurd, Fatalistic Visions Predominate, l’écriture et la composition chorégraphique de Horecna gagnent en précision, en clarté et en efficacité. On lui découvre ici un don absolu à faire vibrer l’espace, même avec un minimum de danseurs, et à créer des lignes de force visuelles et chorégraphiques aussi fines que dynamiques. A la fin, un homme descend le pont, dans la solitude de celui qui a vécu l’inconcevable.

Horecna joue sur les contrastes. Des bouquets chorégraphiques les plus explosifs à une épure maximale, des ténèbres aux lumières des âmes, elle enchaîne des ambiances aussi diverses que ses  choix musicaux. Et si les titres, de Hendrix à Adams, de Vivaldi à Waits, relèvent du lieu commun, la rencontre entre chaque partition et son ambiance chorégraphique est  fusionnelle. Du début à la fin de cette pièce de cinquante minutes, les âmes secouent la chair et inversement. Nous sommes dans l’ambiance des grands romans sur l’humain face à la guerre, grâce à un lumineux regard chorégraphique sur la condition humaine.   

Thomas Hahn

BUT BEHIND THE BRIDGE

Chorégraphie, mise en scène, conception : Natalia Horecna
Interprètes : Les Ballets de Monte Carlo
Réalisation Scénographie, costumes : Christiane Achatzi
Lumières : Samuel Thery

Création mondiale : 27 avril 2017, Grimaldi Forum, Monte Carlo

 

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