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Alexandra Bachzetsis au Centre Pompidou et au Centre Culturel Suisse

Massacre : Variations on a Theme et Private : Wear a mask when you talk to me ont dévoilé à Paris l’univers d’une intrigante artiste pan-européenne.

Ce n’est pas si peu que de concéder à une chorégraphe qu’elle réussit à déconcerter même le public très parisien du Centre Pompidou. Alexandra Bachzetsis a réussi cette prouesse, en basculant les codes esthétiques avec une virulence devenue rare. Massacre : Variations on a Theme est une attaque frontale contre le voyeurisme non avoué de notre époque, un Freak show chorégraphique qui procède par excès de zèle se retournant contre les normes en vigueur.

Face à deux pianos de concert, entre les spectateurs installés en bifrontal sur le plateau de la grande salle du Centre Pompidou, se joue une conjugaison des fantasmes au sujet de la femme, entre  érotisme, animalité et mécanisation: Une partition interprétée par trois danseuses-performeuses-athlètes, un ballet mécanique vigoureusement éclaté sur une composition du Bâlois Tobias Koch (à ne pas confondre avec le célèbre pianiste allemand éponyme) pour deux pianos, dont un mécanique.

L’excès, la transe, l’obsession, le clubbing, les rituels de sacrifice passent par la moulinette d’une abstraction contemporaine qui se réfère explicitement aux mannequins de Hans Bellmer. La femme-objet se drape de gants et de bottes à talons aiguilles enrobés de scotch, directement inspirés des mannequins symboliques de l’artiste phare du Bauhaus. Massacre : Variations on a Theme transpose le regard de Bellmer sur la femme-objet vers le clubbing et le monde de l’hybridation homme-machine.

Les variations sur un thème se déclinent autant au piano que dans le corps, objet de la mécanisation du désir. Désir érotique, désir de perfection et de performance. Le culte du corps parfait comme étendard publicitaire se confond avec la vision sensuelle de Man Ray et des images animales ou mécaniques. Entre perte de contrôle et état rigide, sensualité et robotisme, les trois Amazones (Lenio Kaklea, Yumiko Funaya, Alma Toaspern) passent d’un état à l’autre comme s’il s’agissait, là aussi, de simples variations.

Le massacre annoncé ne concerne pas seulement certains passages violemment contemporains exécutés à mains nues, martelées directement sur les cordes du piano. Les interprètes chorégraphiques ne sont pas en reste. Convulsions pelviennes, grands écarts mécaniques, dos qui martèlent le sol, battements de muscles fessiers, le tout dans des attitudes très sexuées, jusqu’à ce qu’on se dit que seule une femme peut exiger de la part d’interprètes féminines que celles-ci se livrent à une telle chevauchée à la lisière du sexe et de la violence.

Ainsi bousculé, il va de soi qu’on court au Centre Culturel Suisse pour découvrir une autre pièce récente de cette Suisse-Allemande aux racines grecques. Dans Private : Wear a mask when you talk to me, solo qu’elle interprète en personne, elle poursuit d’abord sur cette même lancée, en robe latex noire et scintillante, tel un model pour Helmut Newton. Dans ce flirt intense avec le sensuel, elle se transforme en image de la femme, au sens concret comme au sens imagé.

Partie comme drag queen de la danse orientale, comme icône sportive ou actrice porno, elle opère un retour au réel et vers ses racines grecques, par la danse et par le chant. Mais ce passage, qui mène de l’hyper-féminin à l’androgyne, a le défaut de se perdre entre les plis de son propre discours et les tics de la performance actuelle. Le côté glacé qui sert parfaitement les premiers tableaux asphyxie la suite.

Se produit l’inverse de ce qu’annonce le titre, Private : Wear a mask when you talk to me. En vérité, c’est elle qui porte le masque, à savoir ce visage parfait mais impassible qui empêche qu’une relation se crée entre elle et le public, alors que son solo commence par là, exactement, quand Bachzetsis sollicite l’aide de telle ou telle spectatrice pour vaporiser de l’eau sur sa robe latex ou l’aider à s’en débarrasser. On est loin de la sincérité et de l’authenticité de la dépense physique des trois clubbeuses bellmeriennes dans Massacre : Variations on a Theme. Et c’est finalement ce clivage qui déconcerte, bien plus que la pièce montrée au Centre Pompidou.

Thomas Hahn

Massacre : Variations on a Theme

Paris, Centre Pompidou, 16 février 2017

Concept et chorégraphie: Alexandra Bachzetsis

Danse: Yumiko Funaya, Lenio Kaklea, Alma Toaspern

Pianistes: Simon Bucher, Mischa Cheung

Collaboration movement: Nuno Bizarro

Musique et composition: Tobias Koch

Costumes : Cosima Gadient

 

Private : Wear a mask when you talk to me

Conception: Alexandra Bachzetsis en collaboration avec Thibault Lac et Paul B. Preciado

Interprétation : Alexandra Bachzetsis

Costumes : Cosima Gadient

Centre Culturel Suisse Paris, 21 février 2017

 

www.alexandrabachzetsis.com

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