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C'est comme ça ! à l'Échangeur : deux belles traversées.

Avec deux temps forts appelés traversées, l’une consacrée à la danse en Afrique de l’ouest et l’autre à la Suisse, le festival C’est comme ça ! 2025 s’offre une structure très lisible, complétée par des expositions et quelques écritures contemporaines qui débordent du pur champ chorégraphique. Une édition qui engage un dialogue sur scène, à l’écran et à table.

Irène Tassembedo est de retour à Château-Thierry ! On peut sans doute arguer que l'Afrique a toujours été présente à L'Échangeur, CDCN fondé en 1991, et on se souvient en particulier de la rencontre qui eut lieu au festival C'est comme ça! en 2018 entre Germaine Acogny, Irène Tassembedo et Elsa Wolliastion, les trois faisant l'état des lieux de la danse en Afrique de l'Ouest [ notre reportage].

Cette année, le CDNC offre à Tassembedo et son école de danse à Ouagadougou (EDIT) sa première Traversée, à partir d'une Table ronde: héritages en mouvement. Et si le titre de la rencontre peut cacher une allusion à son animateur Jean-Marc Adolphe, fondateur de la revue Mouvement, il vise juste par rapport au rôle des écoles dans la région, d'EDIT à l'Ecole des Sables de Germaine Acogny, au Sénégal. Il faut faire bouger la tradition, puisque c’est justement ce qui la maintient en bonne santé.

Focus sur Ouaga

La table ronde réunira Tassembedo et trois chorégraphes formés à EDIT : Tatiana Gueria Nade, Ladji Koné et Clément Nikiema. Et chacun de ce quartette présente sa dernière création. Gueria Nade aborde dans son solo Sian  (cicatrice) une histoire intime liée à des violences subies. On imagine de quelle nature... Nikiema consacre Bii Yéndé  (l'enfant seul) à la réalité des enfants abandonnés. Un travail sur une douleur profonde, à partir d'un conte traditionnel. Ladji Koné évoque, dans Page blanche Chapitre 2, entre danse et slam, l'absence de son frère, sa recherche et leurs retrouvailles.


On retrouvera Nikiama comme l'un des sept interprètes de Des_espoirs  d'Irène Tassembedo, une pièce consacrée à la jeunesse du Sahel, entre déplacements forcés suite aux attaques terroristes et autres formes de criminalité. Mais l'intention ne peut être, tant que les propositions viennent d'artistes du continent même, de peindre une image de désolation. Tassembedo insiste bien sur l'espérance, la solidarité, le partage et la joie. Bref, des espoirs...


La présence d’une absente

N'est pas annoncée: Germaine Acogny qui interprète en même temps à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, son nouveau solo consacré à Josephine Baker. Et pourtant, elle sera présente à L'échangeur. D'une, dans le film Dancing Pina  de Florian Heinzen-Ziob [notre critique] qui inclut un reportage sur la transmission du Sacre du printemps  de la fondatrice du Tanztheater Wuppertal.
De deux, par le tout nouveau documentaire Germaine Acogny, portrait  de Marie-Hélène Rebois, diffusé en continu. Ce qui est vrai aussi pour son équivalent consacré à Irène Tassembedo : La danseuse d'ébène, portrait que signe un autre chorégraphe danseur de Ouaga aux talents multiples : Seydou Boro. Et Tassembedo de livrer, dans son propre court-métrage, le portait de son quartier !

Mafé et raclette à La Biscuiterie

Tout ça et bien plus, notamment des extraits de pièces de Tassembedo et une plongée dans l'ambiance de Mudra Afrique, la mythique école où la chorégraphe a pu se former, est au programme d'une soirée qui réunira ces découvertes de la caméra à celle de la bonne cuisine régionale. Aux images ainsi mijotées répond le mafé avec sa pâte d'arachides et sa sauce crémeuse, sous la devise de Savoure ton film!  Et ce n'est pas du réchauffé quand C'est comme ça! bascule du côté de la Suisse, avec sa raclette. Le plat change, les films aussi et on attaque la traversée #2. Fromages et vins blancs pour attaquer l'hiver sous l'énigmatique sigle de SCCCH.
On a beau fouiller, aucun déchiffrage n’est suggéré. Il faut se rendre sur un site scientifique pour découvrir les « shift-corrected cross-correlation histograms ». Trop loin d’un festival de danse… On se réfère donc au SCH, qui désigne la Sélection Suisse en Avignon. Ne reste alors qu’une idée intuitive de « SCCCH = Sélection C’est Comme Ça, Helvetia ». Et peu importe s’il en est autrement, la traversée aura bel et bien lieu.

Audaces helvétiques

La programmation est tissée à quatre mains par Christophe Marquis, directeur du CDCN L'Échangeur et Esther Welger-Barboza, la directrice de la Sélection Suisse en Avignon, non sans jouer de racines sur le continent africain. Le spectacle phare, Turn on, qui a également été présenté à Avignon, est l'œuvre d'une Zurichoise aux racines marocaines : Soraya Leila Emery. Elle s’empare ici des discours sur la sexualité féminine, le redéfinit, le chorégraphie à trois et détourne les représentations orientalistes. La prise de pouvoir des femmes au harem fait son chemin, nous dit L’Échangeur.


C’est en danse contemporaine que la Suisse se découvre de véritables audaces, et elle est aidée par les artistes venant d’ailleurs. Catol Teixeira, qui se s’autodésigne par un pluriel sans genre (« they »), est un vrai cas d’iel, venu.e du Brésil, s’envoyant en l’air, dans son solo Clashes Licking, en tant qu’acrobate et jouant avec chaussons de danse, perruques et latex. En lui.elle ou el.l.ui se croisent le Faune de Nijinski et ses propres fantômes [notre critique].

Plus méditative, la proposition de Maud Blandel, à savoir le sextuor L’œil nu, inspiré d’un événement tragique autant que du cycle de vie des astres et de leur rotation [notre critique]. Plus explicatif, l’« essai parlé » de Pamina de Coulon qui met en avant, par le titre de son Niagara 3000, la thématique de l’eau et de la nature. Sa conscience écologiste est celle d’une citoyenne engagée et militante qui comprend toutes les formes de violences et de souffrances comme un ensemble interconnecté.


Les CDCN en fête

L’ouverture de C’est comme ça ! est confiée à Silivia Gribaudi qui met en scène la performeuse Claudia Marsicano pour intégrer le public dans une série d’exercices sur fond d’aérobic et d’autodérision [notre chronique] alors que la clôture appartient à deux autres femmes chorégraphes. D’abord, Marcela Santander Corvalán avec Agwuas, un duo avec le musicien Gérald Kurdian qui s’inspire de mythes du sud du Chili, autour des océans, de glaciers et de fluides corporels. Ensuite, Flora Détraz avec Hurlula, un concert chorégraphique à partir de la figure, de la musicalité et de la puissance du cri.


Hurlula  et Agwuas  ont reçu le soutien de l’A_CDCN, l’association des seize Centres de développement chorégraphiques nationaux, une forme d’institution chorégraphique qui fête ses trente ans, à partir de la première création d’un CDC, autoproclamé à l’époque, à Toulouse. Une bonne raison de leur dédier une seconde table ronde lors de cette édition, avec la participation de figures historiques comme Annie Bozzini (c’était elle, à Toulouse), Daniel Favier, l’ancien directeur de La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne, de Catherine Dunoyer de Segonzac, fondatrice de Danse à Lille. Et bien d’autres.
En gros, trois semaines de danse plus qu’intenses, avec aussi des expositions gratuites, encore d’autres projections de films et surtout ces tarifs qui font que tout le monde pourra se laisser tenter par la découverte. Car aucun billet de spectacle ne coûte plus de six euros, sans parler des tarifs réduits à 3,50 € ! Ensuite, c’est l’heure du bouquet final, où tout va éclater en une Nuit de la danse, chargeant le lieu d’énergie pour continuer sur sa lancée, jusqu’à la prochaine édition de C’est comme ça !

Thomas Hahn

Festival C’est comme ça !
Du 18 septembre au 11 octobre 2025

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